Jeudi 9 novembre, au Conseil économique, social et environnemental (CESE), la CGT a organisé une journée autour de l’étude qu’elle a commandée à l’IRES*, « Investir dans le secteur du soin et du lien aux autres : un enjeu d’égalité entre les femmes et les hommes ». Retour sur quelques moments de cette journée par Chrystel Jaubert

L'enquête

SAP Infos et votre blog vous en ont parlé plusieurs fois. Tout avait commencé avec la consultation déployée par la CGT en 2021, « Mon travail le vaut bien », auprès de salarié·es de quinze professions du soin et du lien. Notamment des vôtres.

Les résultats de cette enquête ont servi et alimenté une grande étude de l’IRES sur le sujet. C’est de tout cela dont il s’agissait jeudi dernier dans la troisième chambre de la République où une grande majorité de femmes avait pris place.

Rachel Silvera, de l’université Paris-Nanterre et du réseau Mage, a coordonné cette étude. À la tribune, elle commence par en restituer à la fois la genèse, la méthode et les objectifs avant d’introduire les débats de la première session.

Universitaires et syndicalistes ont échangé sur la quantification des emplois et des moyens nécessaires pour couvrir les besoins sociaux en matière de soin et de lien.

La couverture des besoins s’avére inégale sur le territoire. L’étude s’est donc attachée à estimer précisément le nombre d’emplois existants par département et par grande fonction sociale (petite enfance, éducation primaire, perte d’autonomie, action sociale et santé). Le rapport du nombre d'emplois à la population concernée par département permet de calculer « un taux de service ».

Deux scénarios ont alors été établis, un ambitieux et un moins.

Il ressort de l’étude et de ces échanges que, pour faire face aux inégalités les plus criantes et améliorer l’accessibilité aux services, il faut créer environ 300 000 emplois. Mais ce sont plus d’un million d’emplois qui seraient nécessaires pour envisager un niveau de service de qualité dans toute la France.

Emplois publics ou privés, question de la nature des financements et de leurs circuits, impact sur les finances publiques, rien n’est laissé au hasard.

Hélas, les choix politiques réalisés ces dernières décennies ont fait la part belle aux emplois bon marché, sans reconnaissance.

Cette première session montre que l’économie du soin et du lien aux autres et la réponse aux besoins sociaux tout au long de la vie sont des enjeux politiques, autant qu’un enjeu syndical majeur. Ainsi conclue Mireille Stivala, secrétaire confédérale CGT.

Mon travail le vaut bien

Cese 9 novembre 23
Virginie Shmitt AESH, Céline Lemaire auxiliaire de puericulture, Régine Michinot, assistante maternelle, Rachel Silvera et Séverine Lemière, Université Paris Cité Mage

Après la pause déjeuner, Rachel Silvera et Séverine Lemière, de l’université Paris-Cité et du réseau Mage, présentent ce qui est sorti de la consultation Mon travail le vaut bien.

À partir des réponses et des témoignages de professionnelles des secteurs du soin et du lien aux autres, les chercheuses ouvrent cette deuxième session sur une complexité du travail sous-estimée.

Elles parlent de métiers « tout-en-un » où il faut faire en même temps des tâches qui demandent des compétences très différentes, où il faut faire plus que son poste, être en quelque sorte multi-tâches et anticiper les besoins des personnes prises en charge au quotidien.

Elles parlent également de métiers écrasés par les exigences organisationnelles où elles cumulent des difficultés émotionnelles et physiques et font les frais d’horaires atypiques. En somme, des métiers dont la pénibilité, bien réelle, n’est pas reconnue.

Les qualifications véritables sont invisibilisées, les fiches de poste insuffisantes et lacunaires tandis que les compétences se développent de manière empirique.

La revalorisation salariale : une urgence absolue

Sans surprise, la première des revendications des professionnelles concerne une revalorisation salariale, qualifiée d’ « urgence absolue ».

Viennent ensuite la nécessité de créations de postes et de ne plus vivre des conditions de travail en sous-effectif qui engendrent des situations de maltraitance institutionnelle et la perte de sens.

En substance, cette grande consultation révèle que ces secteurs soulèvent d’importants enjeux contemporains du travail tels que le sens de ce travail, le salaire et la reconnaissance salariale, la pénibilité et la soutenabilité des emplois jusqu’à la retraite.

Des témoignages poignants

Rachel Silvera et Séverine Lemière, Université Paris Cité Mage © Chrystel Jaubert

Des professionnelles, justement, sont venues témoigner personnellement de tout cela et dévoiler la relation intime qu’elles ont avec leur travail et avec les personnes dont elles ont la charge.

Auxiliaire de puériculture, assmat, AESH, auxiliaire de vie, aide-soignante ou assistante de service social, chacune livre son histoire à la tribune. Des moments forts qui font réagir dans l’hémicycle et suscitent de longs applaudissements.

Régine Michinot, assmat en Loire-Atlantique, raconte son quotidien, les avantages et le plaisir à s’occuper des tout-petits, mais aussi ce que personne ne voit : « C’est un métier qui amène une grande fatigue nerveuse et physique, l’assmat étant souvent dans le bruit. Elle doit aussi se mettre à quatre pattes, se baisser à hauteur des enfants, les porter, pousser les poussettes avec trois ou quatre enfants dedans ». Et de lister les problèmes de santé que ce métier génère, les problèmes avec la PMI, les relais petite enfance, Pajemploi ou certains parents.

Séverine Marotel, auxiliaire de vie, raconte quant à elle la première fois où elle a été confrontée au décès d’une personne dont elle s’occupait : « Dès que je suis montée dans ma voiture, je me suis mise à hurler et pleurer, j’étais seule, je pouvais relâcher la pression, mais pas longtemps. J’avais pris du retard et d’autres personnes m’attendaient ». Après tous ces témoignages, un débat s’engage avec la salle.

Beaucoup de professionnelles ont à cœur, elles aussi, de partager leur quotidien et leurs difficultés. Puis c’est la pause.

Enjeux et perspectives

Une troisième session s’ouvre qui interroge les enjeux et les perspectives à dégager. Hélène Périvier, présidente du Conseil à la famille au HCFEA**, brosse les enjeux qui se posent désormais pour les politiques publiques, puis Fanny de Coster, pilote de la Commission femmes mixité de la CGT, revient sur l’importance de cette campagne de la CGT pour la revalorisation du travail du soin et du lien. Celle-ci part du cadre de la mobilisation syndicale mondiale coordonnée par la Confédération syndicale internationale (CSI).

Pour la CGT, l’enjeu est double pour l’égalité hommes-femmes : cela permet de socialiser une partie des tâches domestiques majoritairement assumées par des femmes et d’être un levier pour revaloriser les métiers, les salaires et les conditions de travail dans ces secteurs majoritairement féminisés.

Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, conclue cette journée sur ces enjeux. Elle lance un rendez-vous le 8 mars prochain et appelle à rejoindre les actions syndicales et les mobilisations qui se tiendront d’ici là.

*Institut de recherche économique et social

**Haut conseil à la famille, à l’enfance et à l’âge

Sophie Binet © Chrystel Jaubert
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