À l’occasion de la Journée internationale de lutte pour les droits des femmes, Rachel Silvera* analyse les inégalités qui perdurent, la surreprésentation des femmes dans certains secteurs d’activité et revient sur une année 2020 particulière et forte pour les mouvements féministes. Elle répond aux questions de Chrystel Jaubert

Qu’est-ce qui caractérise les inégalités femmes-hommes au travail ?

C’est un paradoxe. Les femmes sont de plus en plus qualifiées, plus nombreuses à avoir leur bac et à poursuivre des études supérieures dont elles sortent plus diplômées que les hommes. En outre, il n’y a jamais eu autant de lois sur l’égalité. Pour autant, les inégalités au travail entre les femmes et les hommes perdurent. Ce qui découle de toutes les inégalités et les représente, ce sont les inégalités de salaire puisqu’encore aujourd’hui, les femmes perçoivent un quart de salaire en moins que leurs homologues masculins.

Temps partiel et précarité pour les moins qualifiées, dévalorisation de la plupart des emplois féminisés, non-accès aux emplois qui paient le mieux, non-mixité pour les plus qualifiées, absence de déroulement de carrière, moins de prime et « soupçon de maternité » sur toutes les femmes.

Pourquoi les femmes sont-elles surreprésentées dans certains secteurs ?

Pour Rachel Silvera, les stéréotypes de genre sont structurants et ne datent pas d’hier. La plupart des emplois occupés par des femmes sont pénalisés en termes salariaux, sociaux et symboliques. En effet, une majorité de femmes se concentre dans six professions qui représentent la moitié de l’emploi féminin, essentiellement dans les services, autour du lien aux autres et du soin. Elles aident, accompagnent, servent, éduquent, nettoient… autant de fonctions qui « seraient considérées comme les prolongements des fonctions domestiques et maternelles ». Au fond, on les tient pour des « métiers de femmes (…) naturellement faits par des femmes ».

L’histoire du métier d’infirmière illustre bien cet état de fait. Occupée par des nonnes, non payées, mais nourries, logées et blanchies, cette fonction était considérée comme une vocation , pas comme un métier. Ce n’est qu’au début du 20esiècle, lorsque l’État prend la main et créé les hôpitaux publics que des évolutions interviennent au terme d’âpres débats sur l’opportunité de rémunérer les infirmières ou pas. Rachel Silvera estime que cette histoire est symbolique et a marqué l’ensemble des professions féminisées, non reconnues comme de véritables métiers nécessitant qualifications, diplômes, savoir-faire, technicités et responsabilités.

Pourtant ces professions sont très encadrées…

Peu reconnues, mais très encadrées en effet, les salariées des emplois de services sont de plus en plus contraintes par des obligations légales et des responsabilités. La crise du Covid a entraîné la mise en œuvre de dispositifs très techniques, ce fut évidemment le cas des assmats. On a vu que les infirmières, aides à domicile, assmats, puéricultrices, professeurs des écoles, caissières… ont été en première ligne. Ces professions se caractérisent par un taux de féminisation de plus de 80 %, voire 90 % pour les assmats et les aides à domicile. Rachel Sivera note que l’exercice de la plupart de ces professions requiert des diplômes, selon les exigences de l’État qui, en quelque sorte, impose son label pour le niveau de qualification, mais pas pour les salaires. Aussi, on a des femmes qui travaillent en étant payées sous le salaire moyen avec un bac +3 ou +4. En cela, la France est à la traîne des autres pays de l’OCDE.

Des femmes discriminées malgré leur utilité sociale : qu’est-ce qui cloche ?

Les salariées des services à la personne, notamment, sont très discriminées alors que leur utilité sociale est de premier plan. En plein cœur de la crise sanitaire, le président de la République citait un article de la Déclaration universelle des droits de l’homme stipulant que les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur leur utilité sociale. En d’autres termes, les rémunérations doivent être fonction de l’utilité du métier. Selon Rachel Silvera, « Ce qui cloche, c’est que la hiérarchie salariale est inversée par rapport à la hiérarchie et l’utilité sociale de ces fonctions ». Dans nos sociétés, on considère qu’elles n’ont pas besoin d’être valorisées et ce malgré la crise, les soutiens et les applaudissements, on ne leur attribue finalement pas de vrai pouvoir économique, à cause de l’histoire, « mais aussi parce que notre société marche sur la tête ». En fait, les métiers les mieux payés sont ceux qui ne servent pas à grand-chose, mais qui rapportent aux actionnaires et aux grands groupes.

En quoi 2020 a-t-elle été une année féministe ?

Les femmes se battent et l’année 2020 a été celle d’une accélération des luttes féministes. Les mouvements féministes ont connu un moment particulier et très fort. Dès avant la crise et le premier confinement, le rejet de la réforme des retraites a consacré les Rosies qui ont dansé et chanté pour montrer que non, les femmes n’étaient pas les grandes gagnantes de cette réforme. La lame de fond #MeToo et #NousToutes a déferlé et il y a un an, le 8 mars a été inédit et exemplaire en termes de mobilisation avec 150 000 manifestantes dans toute la France et en terme de convergence des luttes des femmes au travail, des soignantes, des invisibles et de bien d’autres encore.

Le lien entre la sphère professionnelle et la sphère privée, entre les enjeux sociaux, sociétaux et culturels, s’est fait sur certains aspects. Il y a un moment où, en effet, les luttes pour l’autonomie au travail, l’égalité salariale, ce qui se joue en termes de tâches domestiques et ce qui concerne les violences faites aux femmes se rencontrent. Rachel Silvera parle d’un « continuum entre ce qui se vit au travail et ce qui se vit dans d’autres sphères ; ce qui relève de l’intime, du privé, est aussi politique ». Aussi, le 8 mars 2021 est l’occasion de faire ce lien et de le rappeler.

Quel regard portez-vous sur le 8 mars ?

Le 8 mars est à la fois une source d’agacement et d’espoir. Agacement de ne voir braqués les projecteurs sur les femmes qu’une fois dans l’année et agacement face au « feminism washing » qui relève du marketing, de l’image de grandes entreprises qui ne s’occupent que des « premières de cordée ». Rachel Silvera estime que « ce n’est pas ça l’égalité ». Pour elle, le 8 mars est aussi un espoir, l’occasion de montrer que face au covid, sur fond de #MeToo et #NousToutes, les femmes sont un peu moins invisibles. Pour cela, elle appelle à une mobilisation de toutes les façons possibles, dans la rue, au travail ou en discutant. Car les femmes unies ont beaucoup de choses à dire et le 8 mars, c’est important de le rappeler !

 

* Économiste, maîtresse de conférences à l’université Paris-Nanterre et co-directrice du réseau de recherches MAGE (marché du travail et genre) www.rachelsilvera.org

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