La formation professionnelle continue a rapidement rebondi à l’issue du premier confinement. Baptiste Lenfant, directeur d’Iperia, décrypte cette dynamique de professionnalisation des métiers de la branche. C'est pour lui un moyen de répondre aux enjeux du secteur.

Propos recueillis par Chrystel Jaubert

Baptiste Lenfant, directeur d'Iperia, institut de formation professionnelle pour l'emploi à domicile

Quels ont été les effets de la crise sanitaire sur la formation professionnelle continue chez Ipéria ?

Lors du premier confinement, tout le monde a trouvé la situation très compliquée du fait de la fermeture brutale des centres et des structures de formation. Néanmoins, il y a eu une grande réactivité et une capacité à transformer les pratiques pédagogiques avec beaucoup d’inventivité. Évidemment, la téléformation fait partie des grands leviers mis en place, avec des dispenses de formations par visio-conférence. Même avec ce dispositif-là, nous avons été capables d’accélérer les pratiques pédagogiques en matière de formation professionnelle. Nous avons notamment pu mixer davantage – et ce sera certainement ça, l’avenir – les temps présentiels, les temps distanciels, les temps personnels où la personne apprend depuis une plateforme... Et puis, les temps de réunion ou même des temps en classe virtuelle où les personnes se rencontrent et échangent.

Pour résumer, la crise du covid n’a pas épargné notre secteur. La culture du présentiel y est très importante. En effet, les salarié.e.s ont besoin de se rencontrer et de se retrouver, de rompre l’isolement et de confronter les pratiques. Toutefois, dans une période compliquée comme celle-là, on n'a pas observé de désengagement.

La preuve par les chiffres : ils montrent une augmentation significative du nombre de départs en formation en 2020 par rapport à 2019, passant de 65 000 à plus de 72 000. Cela démontre une forte capacité d’adaptation, à la fois des opérateurs et des structures de formation, mais aussi des salarié.e.s et de leurs employeurs.euses. Cela révèle également un certain ancrage des aspects de professionnalisation pour le secteur. Même dans cette situation difficile, la professionnalisation n’a pas été mise de côté.

Quelles sont les tendances en 2021 ?

La dynamique en matière de professionnalisation continue d’être très intéressante. En projection, le nombre de départs est plus fort que celui de 2020. Les salarié.e.s considèrent aussi que l’environnement est suffisamment adapté. Je n’ai donc pas à plus anticiper cette rentrée de septembre si ce n’est que nous allons améliorer la partie gestion et administration pour accélérer le traitement des dossiers au bénéfice des salarié.e.s. L'objectif est qu’ils et elles soient plus rapidement remboursé.e.s de leurs frais de vie, que ce soient les salaires, les remboursements kilométriques ou autres quand ils et elles peuvent en bénéficier.

Au-delà de ça, je n’ai pas de craintes par rapport à une rentrée de septembre où nous aurions à redouter un confinement qui mettrait à nouveau à mal la formation. L’environnement est désormais capable d’absorber les aléas. Si l’on se réfère à la première partie de l’année avec des confinements, des couvre-feux et d’autres mesures de restriction, cela n’a pas posé trop de problèmes. Si ça a pu ralentir un peu les choses, ça ne les empêche pas, ça ne les arrête pas. Et il y a même une certaine croissance du nombre de départs. Je mets toujours en lien cette croissance avec les besoins qui sont exprimés. Ce n’est pas du volume pour du volume.

Quelle est la nature du mandat confié à Iperia ?

Les branches délèguent les missions d'Iperia. Désormais, c'est la branche qui le fera. Puisqu’il n’y en aura plus qu’une au 1er janvier 2022 depuis la signature par les partenaires sociaux d’une nouvelle convention collective de convergence. Notre mission est d’accompagner la branche pour l’aider à concevoir et déployer sa politique de professionnalisation. On le fait notamment à travers cette commission nationale paritaire emploi-formation professionnelle. C’est là la mission principale d’Iperia, faire en sorte que cette politique se traduise concrètement en offres de formations et surtout en certifications professionnelles.

En qualité de certificateur de compétences, Iperia assure une mission d’observation des métiers. Ainsi, l'institut adapte ses certifications, puis en déduit des parcours d’accès et des dispositifs d’évaluation en tenant compte de la singularité du secteur. L’objectif, in fine, c’est que les personnes puissent obtenir l’une des certifications portées par la branche. Et notamment l’une des trois plus emblématiques que sont les trois titres de niveau 3, eux-mêmes segmentés en huit blocs de compétences.

Typiquement, la certification de compétences est vraiment un levier pour les grands enjeux de l’emploi. Selon moi, la certification porte trois enjeux, surtout pour ce type de public : une reconnaissance personnelle parce que pour certain.e.s, la certification est liée à un engagement humain très important, un dépassement de soi ; une reconnaissance sociale parce que dans un environnement proche, obtenir une certification crée la reconnaissance ; une reconnaissance professionnelle parce que les partenaires sociaux l’ont inclue dans les classifications. Au cœur de la politique de professionnalisation, c’est donc un enjeu majeur.

Parmi les autres missions confiées à Iperia, on compte aussi la labellisation des organismes de formation. Cela participe d’une forme d’engagement d’un certain nombre d’organismes sur l’ensemble du territoire qui déploie la politique et l’offre de professionnalisation de la branche.

Quel est le bilan des actions et avancées en matière de professionnalisation ?

Selon moi, le bilan est très clair. Nous arrivons de mieux en mieux à servir les droits sociaux des salarié.e.s. On observe une augmentation tant chez les assmats que chez les SPE. Mais c'est vrai que, pour ce dernier groupe, il faut beaucoup plus d’énergie dans la mobilisation. Ce sont en effet des personnes qui ont besoin de cette reconnaissance professionnelle. Nous devons donc encore y travailler.

Les autres avancées concernent véritablement nos certifications professionnelles, cette capacité à concevoir des blocs de compétences, donc à être de plus en plus fins sur l’évaluation de compétences reconnues. Derrière les trois titres, nous avons enregistré cinq certifications supplémentaires, reconnues par France compétences. Elles sont complémentaires aux titres et peuvent être d’ailleurs mobilisées sans avoir le titre. Je pense par exemple à des couches supplémentaires de compétences telles que l’accompagnement d’enfants et d’adultes handicapés ou d’enfants atteints de troubles autistiques, de compétences pour travailler en Mam, donc en groupe avec gestion de la structure… Ce sont des compétences complémentaires au métier d’assmat qui se matérialisent par une certification.

Nous travaillons aussi au dépôt des certifications sur les enjeux de coordination à domicile. C’est-à-dire comment l’assistant.e de vie prend un rôle plus important pour coordonner un certain nombre de professionnel.le.s qui interviennent à domicile. Elle ou il ne le fait pas de manière hiérarchique, mais en tant qu’intervenant.e.s de premier plan, car il leur est possible d’assumer d’autres responsabilités. Cela aussi, on le matérialise par le dépôt d’une certification.

Nous poursuivons cette démarche qui vise en permanence à faire reconnaître les compétences. Le meilleur moyen est d’avoir un tiers de confiance qui, à un moment donné, estime que les compétences sont acquises. Et qu’à terme, la grille des classifications traduise cela. C’est un autre travail, mais nous y contribuons forcément.

Qu’est-ce que la loi du 5 septembre 2018 a permis de faire évoluer ?

Refonte de la formation professionnelle

Tout le système a évolué et a été repensé, avec France compétences comme grande agence de régulation. Les opérateurs de compétences se sont ainsi recentrés sur des activités d’accompagnement en matière de GPEC (gestion prévisionnelle des emplois et compétences). Dans notre environnement de branche, Iperia travaillait déjà sur ces enjeux de certification. Nous réalisions déjà ce travail de certification et d’étude des évolutions des métiers et des compétences, en assurant des missions sur toute la chaîne.

Création de l'APNI

Pour notre secteur, ce qui est très important, c’est la création de l’association paritaire nationale interbranche (APNI) pour la garantie des droits sociaux des salarié.e.s. On l'a créée pour porter juridiquement le mandat du particulier-employeur afin de l’aider à accomplir ses obligations d’employeur. La traduction en matière de formation professionnelle, c’est qu’à partir du moment où le/la salarié.e part en formation avec un bulletin d’inscription signé par un des employeurs (l’employeur porteur), celui-ci confie à l’APNI le soin de payer directement au/à la salarié.e la rémunération et les frais de vie auxquels il ou elle peut prétendre. Jusqu’à cette loi, ces sommes étaient versées à l’employeur qui le reversait à son/sa salarié.e. Désormais, Iperia peut payer par mandat et donc on raccourcit les délais.

Sécurisation des droits sociaux

Certes en première partie d’année, nous avons rencontré des problèmes de délais avec une augmentation du nombre de départs qui s’est faite au détriment d’une certaine rigueur administrative. Les organismes étant fermés, nous avons reçu les dossiers très tardivement. Instruire et gérer les dossiers, ainsi que payer les salaires et les frais de vie qui est la dernière étape de l’opération, a pris un petit peu plus de temps que d’habitude. C’était vraiment conjoncturel et on a rattrapé le retard. Si je devais ne retenir qu’une avancée majeure pour les gens, c’est la sécurisation des droits sociaux attachés au droit à la formation qui apporte beaucoup plus de fluidité.

Comment la formation professionnelle répond-elle aux enjeux d’emploi ?

Selon moi, parler de formation signifie qu’il n’y a rien de naturel et qu’il y a besoin de faire état d’un certain nombre de compétences. Globalement, je pense que nous sortons progressivement de l’idée selon laquelle, parce que ces métiers seraient assurés par des femmes, elles sauraient naturellement garder les enfants ou faire le ménage. Aujourd’hui, personne ne remet plus en cause les besoins de formation. Ce qui prouve déjà que ce sont des professionnel.le.s, surtout grâce aux enjeux de certification des compétences.

Plus nous serons en capacité de faire reconnaître les compétences, quels que soient les canaux ou les voies d’accès, par la VAE pour des gens déjà en poste ou par des programmes plus courts, plus les parcours de professionnalisation amèneront les professionnel.le.s à les faire reconnaître. D’autant que les rencontres entre pairs participent aussi de l’identité professionnelle. Voilà en quoi la formation peut être un levier.

Par ailleurs, nous sommes en train de démultiplier les voies d’apprentissage ou en tout cas les voies d’accès à la certification professionnelle. Évidemment, l’apprentissage en fait partie. Il permet en outre de viser un public plus jeune. C’est un nouveau défi qui s’ouvre à nous et il n’est jamais trop tard pour en entreprendre de nouveaux. Il y a quinze ou vingt ans, quand on a mis en place la formation professionnelle, l’image sociale était beaucoup plus dégradée et les doutes sur notre capacité à la mettre en place bien plus répandus.

Aujourd’hui, nous n’avons plus besoin d’augmenter la formation professionnelle. Mais la branche aurait besoin de soutien financier pour servir davantage les droits sociaux. Le besoin principal est de donner envie d’exercer ces métiers grâce à de nouvelles voies d’accès et l’apprentissage. Même s’il y a de la complexité à le mettre en œuvre, c'est un levier important.

Comment endiguer le défaut d’attractivité des métiers du secteur ?

Notre responsabilité, c’est aussi de faire en sorte que la certification ait une valeur et que la certification de branche, reconnue par un tiers de confiance, permette à la personne d’augmenter son employabilité. De toute façon, le modèle est en pyramide inversée. Un.e salarié.e a plusieurs employeurs, nous ne pouvons pas aller contre cette logique. En revanche, nous pouvons faire en sorte de la soutenir par différents moyens et différents leviers. La certification par l’apprentissage en est un.

Au-delà du cadre de la formation professionnelle, je pense que la meilleure chose qu’ont faite les partenaires sociaux, c’est l’unification des conventions collectives et l’amélioration des droits sociaux. Avec notamment une prime de départ à la retraite, une amélioration de la prévoyance et un certain nombre d’autres droits sociaux tirés vers le haut. C'est la preuve d’un engagement sectoriel pour améliorer l’attractivité. Désormais, il faut que ce soit appliqué et que cette application résonne davantage.

Pour notre part, nous allons faire en sorte que la connaissance de ces nouveaux droits devienne une compétence professionnelle. Car connaître ses droits et ses devoirs participe, finalement, de l’environnement professionnel et de l’exercice des métiers du secteur. Nous allons donc mettre à jour cette formation sur les droits et devoirs autour des avancées de la nouvelle convention collective. La formation permettra ainsi l'accès à l’information. Et il y aura une dimension beaucoup plus pédagogique, et non simplement informative, des compétences.

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