Mobilisation des aides à domicile, une révolte nourrie
Traditionnellement peu visibles, peu écoutées et peu mobilisées, les aides à domicile sont passées à l’action. Membre de la Commission exécutive confédérale et animatrice du collectif confédéral aides à domicile, Mireille Carrot explique les enjeux de leur journée du 23 septembre.
Entretien réalisé par Chrystel Jaubert
Quels sont les principaux éléments de contexte pour les aides à domicile ?
Les aides à domicile sont des professionnelles indispensables dans la réponse aux besoins de la population et notamment des personnes les plus vulnérables. Mal reconnues, elles subissent une énorme précarité, une politique de très bas salaires et des temps partiels imposés qui génèrent des amplitudes horaires à rallonge. Jusqu’à dix heures par jour... Avec seulement trois ou quatre heures dûment payées du fait des interruptions et des temps de trajet entre les interventions non pris en compte !
En outre, il existe de très grosses disparités d’un secteur à l’autre (public, lucratif, associatif, particulier-employeur). Celles-ci compliquent les possibilités et capacités de ces salariées à s’organiser et créer une dynamique collective revendicative autour d’éléments communs. Et ce d’autant plus que ces femmes travaillent seules au domicile de particuliers. Voilà qui accentue encore davantage leur précarité.
Qu'est-ce qui a mis le feu aux poudres ?
Nous avons vu, pendant la crise sanitaire, à quel point ces personnes étaient applaudies. Or, seuls les personnels soignants ont obtenu quelques avancées, même si elles ne sont pas suffisantes. En revanche, les catégories d’aides à domicile ont été exclues de toutes les mesures. Ce qui a nourri leur sentiment d’être invisibles, non reconnues et méprisées des pouvoirs publics. Voilà qui a généré une certaine révolte.
Certes, il y a eu la prime Covid. Mais elle n’a pas été versée intégralement comme annoncé et parfois pas versée du tout dans certains départements ou dans certains secteurs. Comme celui du particulier-employeur ou dans le privé car les entreprises n’ont pas voulu mettre la main à la poche.
Dans le secteur associatif, la négociation de l’avenant 43 a produit des annonces plus médiatiques que réelles puisque officiellement, les augmentations de salaire vont jusqu’à 15 %. Alors que, dans les faits, elles sont très inégales selon les catégories professionnelles. De plus, cela ne concerne que le secteur associatif, pas les autres, suscitant encore des inégalités de traitement.
Comment mobiliser des aides à domicile aussi diverses ?
Ces derniers mois, il y a eu des mobilisations d’aides à domicile qui s’appuyaient sur celles de la santé ou d’autres secteurs, mais avec une volonté d’être visibles, d’avoir leurs propres revendications et de déboucher sur leurs propres mobilisations pour une vraie reconnaissance. Alors effectivement, d’un secteur à l’autre, on ne peut pas faire un copié-collé de toutes les revendications.
Mais au bout du compte, elles participent d’une même aspiration : être mieux reconnues, mieux payées, avoir un temps de travail correct et un remboursement des frais kilométriques à hauteur de ce qu’ils coûtent. Il faut baisser le temps de travail de certaines, l’augmenter pour d’autres, tout en les payant pour un temps plein de 32 heures.
Un collectif confédéral s’est créé sur la mise en commun de toutes les revendications des salariées selon leur secteur. Nous avons travaillé en direction de nos organisations en territoire, notamment les UD. Et nous avons élaboré un livret à leur intention. En effet, ces salariées se tournent d’abord vers les UD ou les UL, lors des permanences juridiques notamment. Il fallait donc d’abord aider les organisations à comprendre comment fonctionne l’aide à domicile en essayant de mettre à disposition du matériel dédié.
Voilà comment toutes les fédérations ensemble et les territoires ont travaillé pour accueillir et aider au mieux les aides à domicile. Et ça marche. Lorsqu’on s’en occupe, elles répondent présentes. Elles viennent, elles se syndiquent et elles se mobilisent. L’appel de quatre fédérations est le fruit d’un travail de longue haleine parce que c’est un secteur qui a toujours été malmené. La mobilisation du 23 septembre était en réflexion depuis un certain temps.
Quel regard portez-vous sur cette mobilisation du 23 septembre ?
Nous sommes en train de faire le point sur les différentes mobilisations en territoire. Nous en connaissions certaines, nous en découvrons chaque jour. Certaines se sont appuyées sur des appels de nos organisations en territoire là où il n’existait pas de syndicats d’aides à domicile. Cependant, dans la dynamique des mobilisations d’avril et du 23 septembre, des syndicats se sont créés dans trois entreprises. Ce n'est vraiment pas anodin dans ce secteur. La mobilisation leur a permis d’être visibles, de pouvoir s’exprimer, d’échanger et de s’organiser.
Autre exemple à Perpignan, un syndicat d’aides à domicile du secteur associatif s’est élargi aux autres secteurs. Leur assemblée générale constitutive va avoir lieu bientôt. C’est typiquement ce qu’on essaie de faire avec le collectif confédéral. Il ne s’agit pas d’imposer un certain type d’organisation. Mais force est de constater que ce sont des secteurs qui sont très éclatés avec de petites structures, de petites entreprises. Il faut donc mettre à disposition de nos organisations des outils qui permettent d’organiser ces salariées autour de leur profession quels que soient leur statut, leur convention collective, leur fédération.
Si on crée un syndicat départemental avec des salariées de tous secteurs, on peut très bien imaginer des sections respectant chaque fédération, ses prérogatives et ses champs d’intervention. C’est non seulement possible, mais ça commence à prendre et c’est très intéressant. Ce qui va manquer, ce sont les moyens, à la fois en temps et en termes financiers.
Et sur la journée du 5 octobre ?
Certes, la journée interprofessionnelle du 5 octobre s’est inscrite dans la lignée du 23 septembre, mais les aides à domicile n’y étaient pas forcément très visibles. Il est difficile pour ces salariées de faire grève. D’une part parce que les rémunérations sont très basses. Et d’autre part parce qu’elles ne peuvent pas laisser sans intervention les personnes vulnérables ou dépendantes dont elles ont la responsabilité.
Le 23 septembre a déjà permis à bon nombre d’entre elles de se montrer, de découvrir la lutte collective et leur a donné l’envie d’aller plus loin avec d’autres. C’est le sens de témoignages que j’ai reçus. Le fait d’avoir eu leur propre journée leur a donné envie de poursuivre la mobilisation avec d’autres. Je rappelle que pendant la mobilisation du 23 septembre des annonces ont été faites. Cela leur a montré que le fait de se mobiliser faisait parler d’elles.
Justement, comment s’est construite cette séquence ?
Sur la forme des annonces, ce qui est assez surprenant, c’est que personne n’en avait entendu parler auparavant. Nous devions être reçus la veille par Brigitte Bourguignon, ministre déléguée. Nous avions en effet demandé audience le jour du rassemblement, ce qui se fait ordinairement. Mais elle nous a demandé de nous rencontrer la veille pour pouvoir être présente. Nous avons accepté car nous jugions préférable et intéressant que la ministre nous reçoive.
Mais elle a finalement séché le rendez-vous et nous a laissé avec son conseiller. Nous comprenons mieux maintenant qu’elle ait voulu éviter de faire elle-même les annonces et laisser la primeur au Premier ministre. Nous avons appris qu’au lieu de nous rencontrer comme c’était convenu, elle était avec les fédérations patronales. Beau symbole pour une journée d’action ! C’est insultant pour la délégation composée de salarié.e.s du secteur que nous formions.
Sur le fond, comment appréciez-vous les annonces ?
Jean Castex avance la somme de 240 millions alloués à un secteur de plus de 700 000 salarié.e.s. À la CGT, pour des raisons d’équité, nous sommes favorables à l’harmonisation sur tout le territoire d’un prix de journée suffisant pour recruter et fidéliser les personnels et d’un tarif horaire qui permette de rémunérer correctement les salarié.e.s.
Mais nous avons du mal à y croire. Ce financement va-t-il être directement répercuté sur les salarié.e.s ? Sur l’emploi des enveloppes allouées aux départements qui vont financer les structures, quel contrôle ? Quant au secteur lucratif, nous avons encore plus de doutes car c’est une demande du patronat de ce secteur d’augmenter et harmoniser les tarifs, mais il n’a engagé aucune négociation jusqu’à présent, contrairement au secteur associatif. Les employeurs renvoient aux NAO, c’est-à-dire au sein de chaque entreprise dans un secteur où les salariées ne sont quasiment pas organisées.
Quid des NAO dans les petites entreprises ? L’augmentation sera-t-elle laissée au bon vouloir de chaque employeur ? Enfin dans le secteur des particuliers-employeurs, il peut y avoir une répercussion pour les salariées. Mais ça reste à vérifier. Il faut que nous regardions de plus près comment ça va se mettre en place et que nous y veillions partout.
Globalement, je pense que ces annonces ont été faites pour calmer le jeu justement parce que la mobilisation des aides à domicile commençait à se voir. Le fait qu’il s’agisse d’un des métiers en tension avec des difficultés de recrutement a pu jouer. Le gouvernement n’a pas pu faire autrement et a donné un peu pour pouvoir dire qu’il a agi. Mais on est loin du compte. Et encore plus loin de nos revendications d’un service public de la perte d’autonomie financé par la branche maladie de la Sécurité sociale.