Le 3 février dernier, le collectif Femmes-mixité CGT organisait un webinaire sur la revalorisation des métiers du soin et du lien. Une revalorisation nécessaire et urgente qui permettrait également de faire progresser l'égalité salariale femmes-hommes en France.

Introduction – Sophie Binet

Sophie Binet, dirigeante nationale CGT, responsable du collectif Femmes-mixité CGT, secrétaire générale de l’UGICT CGT

Un webinaire, une campagne

En introduction, Sophie Binet rappelle que le titre du webinaire fait écho à une campagne internationale lancée par la CGT pour tirer les leçons de la crise, c’est-à-dire revaloriser les premières de corvée et répondre aux besoins sociaux, en matière de santé, bien social, éducation, prise en charge de la petite enfance et du grand âge, etc. La particularité de cette campagne, c’est qu’elle s’appuie sur une étude de l’IRES dont la remise est prévue pour décembre 2022.

Le webinaire de ce jour constitue un point d’étape dans cette étude et est l’occasion de présenter ses premiers résultats.

Quel lien y a-t-il entre égalité professionnelle et revalorisation des métiers du soin et lien ? Pourquoi le collectif Femmes-mixité est-il à l’origine de la campagne ?

Les métiers du soin et du lien sont à la fois très féminisés et défavorisés, confrontés à une perte de sens avec une standardisation de la gestion et un fort management par le coût.

En France, seulement 18 % des métiers sont vraiment mixtes.

Ni le patronat ni le gouvernement n’appliquent ce que la loi dit vraiment : « un salaire égal pour travail de valeur égale ».

Article L.3221-4 du Code du travail : « Sont considérés comme ayant une valeur égale, les travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l'expérience acquise, de responsabilités et de charge physique ou nerveuse. »

Pour déterminer cette « valeur », plusieurs critères sont donc à prendre en compte : les connaissances professionnelles, les capacités, la responsabilité, la charge physique et nerveuse.

Les objectifs de la campagne

Cette campagne a trois objectifs :

1° Faire appliquer la loi

Vu l’étude, cela voudrait dire une augmentation de 25 % des salaires de ce secteur, par rapport aux métiers à prédominance masculine.

2° Créer un service de prise en charge de la petite enfance et de la perte d’autonomie

Dès qu’il y a un recul des services publics, ce sont les femmes qui prennent.

42 % des enfants de moins de 3 ans ne sont pas en crèche et n’ont pas d’assmat. La plupart du temps, la prise en charge de ces enfants repose sur les femmes, les mères, les grand-mères. L’objectif de ce service serait de socialiser les tâches domestiques pour permettre aux femmes d’accéder à l’emploi.

3e Gagner des droits pour la parentalité, pour une parentalité partagée

Avec l’allongement du congé paternité et du congé maternité.

Le 8 mars, une mobilisation essentielle

Le 8 mars est un rendez-vous important : la CGT appelle à la grève féministe avec d’autres syndicats et de très nombreuses associations.

Quels sont les enjeux ?

  • Ce sera la veille des élections présidentielles. Aujourd’hui, les débats présidentiels sont à des millénaires des sujets qui nous concernent, avec des thèmes masculinistes très forts. Le 8 mars doit être très fort pour mettre ces thèmes au cœur des débats, notamment en faisant converger les luttes des secteurs féminisés (dans les EHPAD, pour les AESH, pour les infirmières, pour les assmats, etc.).
  • Faire le lien entre la dévalorisation des métiers et la féminisation des métiers, comme évoqué plus haut.

La CGT publiera prochainement un appel unitaire à la grève féministe. C’est dans la suite de la mobilisation du 27 janvier, puisque la question de l’égalité salariale sera indispensable.

L’égalité hommes-femmes est la première préoccupation des salariés aujourd’hui en France, quand on leur pose la question. C’est ce à quoi la CGT s’attelle dans les prochaines semaines.

Le secteur du soin et du lien : de combien d’emplois avons-nous besoin ? Premiers résultats de l’étude IRES

François-Xavier Devetter, professeur d’économie, Université de Lille, et Julie Valentin, maîtresse de conférences, Université Paris 1

Une étude menée dans une optique de mesure quantitative.

De quels emplois parlons-nous ?

  • Aide à domicile
  • Assistant.e maternel.le
  • Educateur.trice de jeunes enfants
  • Agents de service des établissements primaires
  • Infirmer.ière
  • ASH
  • Educateur.trice spécialisé.e et métiers connexes
  • Assistant.e des services sociaux et métiers connexes
  • Professeur.e des écoles
  • Sage-femme
  • Auxiliaire de puériculture
  • Aide-soignant.e
Tableau indiquant le salaire mensuel moyen des métiers du soin et du lien
Tour d'horizon des métiers du soin et du lien

Cela représente au moins 3 millions de salariés aujourd’hui, dont un pourcentage de femmes qui varie entre 70 et 100 %.

Les salaires mensuels moyens vont de très très faible à, au mieux, moyen par rapport à ce qui est attendu niveau qualification. Ce sont des salaires vraiment très bas, surtout en comparaison de ce qui est attendu niveau qualification. Le chiffre le plus choquant, c’est le pourcentage de personnes déclarant ne pas pouvoir tenir jusqu’à la retraite, qui est énorme !

Quels coûts pour revaloriser ces métiers ?

Il faudrait 30 milliards d’euros pour rééquilibrer les choses par rapport aux autres salariés.

Tableau indiquant quels coûts sont nécessaires pour revaloriser les métiers du soin et du lien
Quel coût pour revaloriser les métiers du soin et du lien ?

L’IRES envisage trois scénarios :

  • 10 % - Un scénario « radin » pour tout du moins arrêter de maltraiter les salariés concernés, avec une augmentation de 10 % des rémunérations.
  • 25 % - Un scénario qui correspond à la « pénalité » salariale dont souffrent les métiers du soin et du lien, qui représente moyenne un écart de 25 % (soit une différence qui va de 10 % à 35 % selon les professions). Cela correspond à 30 milliards d’euros et à 1,2 % du PIB. Ce coût repose à 85 % sur des dépenses publiques mais doit être mis en comparaison avec d’autres dépenses actuelles.
  • Un scénario pensé pour « rattraper » la rémunération correspondant aux qualifications attendues pour exercer les métiers en question (les diplômes exigés sont faibles voire inexistants mais les qualifications/compétences demandées sont très élevées – ce qui donne bien souvent une surqualification par rapport à la rémunération, ce dont on profite abusivement).

Qui financerait ces dépenses ? Ce serait des dépenses publiques, surtout parce que ces métiers reposent aujourd’hui sur celles-ci. C’est le cas aussi bien du public que du privé qui bénéficie de financements au niveau départemental, étatique ou via la sécurité sociale. Les pouvoirs publics ont donc vraiment la main sur ces salaires.

De combien d’emplois avons-nous besoin ?

Les métiers doivent être absolument revalorisés, mais la situation touche également la question de la prise en charge des bénéficiaires.

Méthode suivie :

Sur tout le territoire, les services dépendent de politiques locales. Certains territoires apportent à la population des services de manière plus qualitative, efficace, répondent mieux à un besoin que d’autres territoires (il y a de fortes inégalités entre les territoires). Imaginons que tous les départements s’alignent sur ceux qui travaillent le mieux à ce niveau-là. On en choisit trois, trois départements modèles, et on en tire des scénarios. On se base par exemple sur le 25e département pour ne pas viser trop haut mais rester exigeant.

Tout ceci nous permet de mesurer le nombre d’emplois manquants :

  • On compte près de 300 000 emplois manquants dans les métiers du lien et du soin pour répondre aux inégalités les plus criantes
  • Mais on serait encore loin du compte. Si on se compare à la Suède par exemple, il faudrait 1,7 millions d’emplois en plus.

Un investissement conséquent et nécessaire

Une fois qu’on a le nombre d’emplois, il faut chiffrer ce qui serait nécessaire d’investir pour y arriver. Il faut prendre en compte le coût en main-d’œuvre, le coût de production global et le coût brut pour les finances publiques.

On est autour de 2 % du PIB pour se rapprocher du 25e département, ce qui représente un investissement public autour de 80 milliards d’euros. Mais d’un autre côté l’État verse 90 milliards d’euros d’exonérations pour soutenir des emplois dans le privé. L’ensemble des dépenses peut par ailleurs être réduit

  • Car on économise du côté des primes d’activités
  • Car des personnes sans emploi ou inactives pourraient prendre en charge ces services suite à une formation et participer à l’économie française

Ces dépenses seraient un véritable investissement pour l’État, avec un retour sur investissement à la fois humain et financier.

De nécessaires prolongements

Le travail est en cours et inachevé. Il va falloir affiner pour améliorer l’évaluation des revalorisations salariales. On doit par exemple ajouter les emplois supplémentaires dans la revalorisation !

Il faut aussi réfléchir pour que ces services s’inscrivent dans un service public et ne soient plus externalisés.

Quand le capital spécule sur le bien-être de nos proches

Albert Papadacci, délégué syndical CGT du groupe Korian, secrétaire général de l’union locale du Plessis-Robinson

En France, on investit 0,5 % dans la prise en charge de nos aînés. C’est très peu en comparaison des autres pays d’Europe.

Pour autant, le secteur des EHPAD est très lucratif.

Chez Korian, les salariés sont à 87 % des femmes, parmi lesquelles une grande partie sont des mères célibataires qui se retrouvent à demander un mi-temps pour garder leurs enfants le mercredi.

50 % des ASH et des aides-soignantes ne sont pas diplômées. Elles « font office de ». Même le ministre le sait, et c’est toléré. Alors que l'ARS finance une partie des salaires des soignants, que les conseils départementaux financent les ASH à hauteur de 45 %, que les fonds publics financent à 50-55 % les maisons de retraite. Mais les salariés n’ont bien sûr pas accès au montant perçu par le directeur pour les soins prodigués.

Pour le 8 mars, le syndicat CGT du groupe Korian prévoit un rassemblement devant Orpea à partir de 10 h 30. Ils appellent tous les salariés du secteur privé lucratif à se rassembler avec eux, pour ensuite rejoindre la manifestation générale à 14 h.

« Parce que mon travail le vaut bien »

Séverine Lemière, maîtresse de conférences, Université Paris et MAGE, et Rachel Silvera, maîtresse de conférences en économie, Université Paris-Nanterre et MAGE

Cette consultation de 14 métiers du soin et du lien part d’un paradoxe : ces métiers sont essentiels et pourtant dévalorisés

  • parce qu’ils sont ultra féminisés, on présuppose qu’ils font appel à des vocations, à des compétences naturelles pour les femmes
  • parce que les qualifications ne sont pas reconnues

Si l’on compare les emplois à prédominance masculine et les emplois à prédominance féminine, on observe bien souvent :

Emplois à prédominance masculine

Emplois à prédominance féminine

Un métier bien délimité, aux diplômes reconnus, avec un rôle identifié et défini dans l’organisation

 

Une « culture métier » forte, des carrières prédéfinies

 

Une légitimité technique importante et en adéquation avec les valeurs syndicales et les revendications collectives

Beaucoup d’emplois ont un même intitulé pour une diversité de réalités professionnelles (dans la même organisation)

 

Cela génère des compétences invisibles, non reconnues, des emplois « fourre-tout » dont les contenus sont assez personnalisés avec des prises d’initiatives individuelles au-delà du prescrit

 

Emplois d’assistance, de relation de service dont la technique est non-reconnue

 

Des métiers plus homogènes, des revendications plus faciles

Difficulté à construire des revendications collectives et à se faire entendre

 

La sous-valorisation des métiers féminisés : facteur systémique mais invisible des écarts salariaux entre femmes et hommes

Tout confondu, les écarts de rémunération sont de 27,8 %, soit environ un « quart en moins » en France. Une différence qu'on explique par

  • de nombreux temps partiels dans les métiers féminisés
  • la ségrégation professionnelle : plafond de verre, parois de verre (dévalorisation des emplois féminisés)
  • les primes qui varient en fonction des emplois
  • des déroulements de carrière différents
  • et une part « inexpliquée »

Les politiques d’égalité n’intègrent par ailleurs jamais le principe de valeur égale des emplois, alors que c’est dans la loi !

Quelques premiers résultats

La consultation continue jusqu’en mars.

Objectifs :

  • mieux cerner le travail réel et les revendications des salariées occupant des métiers féminisés du soin et du lien
  • faire parler du travail : s’intéresser à la valeur exprimée et perçue du travail par les salariées

Le questionnaire conclut sur les grandes revendications et essaie de les prioriser.

Au 19 janvier 2022 :

  • 4 501 réponses
  • 89,4 % de femmes entre 40 et 60 ans
  • 40,5 % de syndiquées
  • soit un échantillon plus âgé et plus syndiqué que la moyenne

4 grands résultats se dégagent déjà.

1° Le contenu du travail tel qu’il est exprimé par les salariées est plus complexe que la qualification reconnue

Plus de 53 % de l’échantillon estime que le temps nécessaire pour maîtriser son travail est de plus d’un an, c’est-à-dire comme les cadres !

98 % affirment que leur métier exige des connaissances théoriques.

Plus de 46 % ont une fiche de poste qui ne correspond pas à la réalité du travail car elles font bien plus. Et ces activités supplémentaires sont considérées comme indispensables à la bonne réalisation du travail dans 77 % des réponses.

2° Les stéréotypes sexués cachent de réelles exigences professionnelles

87 % des professionnelles effectuent souvent plusieurs tâches à la fois (du côté des infirmières, ça fait peur !).

Plus de 96 % disent leur métier difficile sur le plan émotionnel.

Seulement 24 % bénéficient d’une aide ou d’un accompagnement formel au sein de leur organisation pour faire face à cette charge émotionnelle.

45 % sont aidées entre collègues, de manière informelle.

3° Des emplois qui dégradent l’état de santé

Plus de 73 % des professionnelles ressentent une dégradation de santé liée au travail.

30 % déclarent avoir travaillé en étant malade car sinon le travail ne serait pas fait, et 40 % pour ne pas perdre de l’argent / être pénalisée.

66 % estiment ne pas être capable d’aller jusqu’à la retraite.

4° Fières de leur métier, mais avec de nombreuses attentes

Pour 71 %, c’est un métier d’engagement, utile aux autres, avec des valeurs fortes.

59 % en sont fières et disent que ce n’est pas un métier reconnu.

Seulement 2 % font ce métier juste pour un salaire.

Leurs attentes :

  • en priorité, une revalorisation salariale pour 87 % des professionnelles
  • puis la création d’emplois (60 %)
  • 8 % seulement estiment être rémunérées à leur juste valeur

Quelle est l’étape suivante ?

Retenir 3-4 professions avec lesquelles procéder à une étude qualitative en rencontrant des professionnelles. Ces métiers seront ensuite comparés à des professions à dominante masculine de valeur égale pour voir ce que chacun en dit et quelles différences on observe.

Le témoignage de professionnelles en lutte

Différentes professionnelles ont pris la parole pour témoigner sur leur quotidien, leurs combats, leurs réussites et les difficultés qui sont les leurs.

Voici quelques extraits de leurs interventions :

Virginie Schmitt, accompagnante d’élèves en situation de handicap (AESH)

Un métier étiqueté "précaire"

« Une fonction que j’exerce depuis bientôt 7 ans.

Elue CCP pour mon académie, membre de la CGT Educ’Action.

Lutte actuelle : nos collègues du 94 sont en grève illimitée depuis début janvier pour dénoncer nos conditions de travail et ne lâchent rien.

Nous accompagnons de 1 à 4 élèves, individuellement ou mutuellement, de la maternelle au lycée, quel que soit leur handicap, sans formation préalable. 90 % des 125 000 AESH aujourd’hui sont des femmes recrutées en temps partiel imposé. La moyenne nationale est de 24h/semaine pour 41 semaines et 800 euros net/mois. Après 6 ans de CDD de fonction publique on peut prétendre à un CDI qui fait toujours de nous des précaires : pas de changement de rémunération, pas de progression ni de perspective d’évolution. Difficile de se dire qu’on peut arriver à la retraite en restant AESH. La pénibilité arrive dans notre fonction alors qu’elle n’y était pas avant. C’est le plus beau métier du monde, mais tellement mal reconnu. On a une étiquette de précaire de début à la fin de notre carrière, c’est difficile à avaler.

Une mission essentielle mais en perte de sens

Notre salaire ne nous permet pas de vivre dignement. Alors que nous exerçons des missions essentielles dans l’accès à la scolarisation des enfants en situation de handicap.

Il y a une vraie perte de sens de notre métier. Des conditions de travail dégradées, un défaut de formation, une politique du toujours plus avec toujours moins, une hausse inquiétante des démissions ou des licenciements par incapacité car on en arrive à une saturation qui fait qu’on ne peut plus travailler.

Et on assiste dernièrement à un phénomène de mutualisation. Avec ce système nous pouvons avoir 4 à 5 élèves sur différents établissements scolaires avec des déplacements et une dégradation de la qualité de l’accompagnement qu’on faisait. On nous demande de la « quantité ».

Nous demandons donc :

  • 1,4 fois le SMIG au début de carrière
  • Des temps plein sans annualisation
  • Des formations
  • Un CDI dès le recrutement
  • Une formation professionnelle initiale qualifiante
  • Une co-réflexion avec les enseignants
  • La cession des accompagnement mutualisés
  • Le retour des accompagnements de qualité avec un seul élève suivi

On voudrait pouvoir vivre dignement de notre emploi d’AESH. »

Coline Barrois, assistante sociale au Conseil départemental du Val-de-Marne

Un métier au plus près des personnes vulnérables

« Mon métier, c’est d’accompagner les personnes les plus vulnérables, les personnes accidentées de la vie qui en ont besoin à un moment donné. Ce métier est important, il a un rôle de solidarité, de neutralité. Les assistants sociaux ont un diplôme de bac +3 avec un salaire qui commence à 1 300 euros.

On est en perte de sens, de reconnaissance de notre expertise, avec souvent des remises en cause. La liberté d’intervention qui était garantie par le code de déontologie est diminuée.

On fait plein d’heures supp de travail. Au conseil départemental, on compte 544 000 heures supp pour l’ensemble des travailleurs. La vie familiale en prend un coup. Beaucoup de collègues sont à 80 % et travaillent en fait à 100 %. On leur dit de s’adapter avec un salaire faible. Elles ont l’impression qu’on leur reproche d’avoir une vie familiale.

Notre travail est toujours plus contrôlé avec des logiciels. On a perdu nos espaces d’échange. Une enquête a été faite et rien n’est mis en place, ce qui entraîne des départs de collègues. Quand on y arrive plus, on nous demande de partir, on nous dit que c’est une question d’organisation. Mais on ne peut pas faire de la quantité au détriment de la qualité. De moins en moins de personnes veulent faire ce métier, notamment à cause de la fiche de paie. On ressent un vrai manque de reconnaissance, un mal-être…

Une reconnaissance en demie teinte

J’ai lutté avec la CGT et on a obtenu une reconnaissance mais en fait on a eu un A au rabais sur la grille salariale. On continue de se battre localement pour avoir un régime indemnitaire – c’est-à-dire une augmentation locale seulement et qui ne nous fait pas cotiser pour notre retraite. C’est une sorte de reconnaissance mais à moitié.

On s’est mobilisé le 1er février pour avoir une vraie reconnaissance. On n’en peut plus de ne pas avoir nos salaires augmentés, de voir nos collègues contractuelles qui s’en vont. Parce qu'on veut qu’il n’y ait plus aucune famille qui dorme à la rue au Val de Marne !

La loi de transformation de la fonction publique veut dire la suppression de milliers de fonctionnaires. Dans ma collectivité, 600 personnes. Quand on sait que ce sont surtout des femmes qui travaillent à la petite enfance, etc., ça va avoir un impact terrible. On continue de lutter pour que ça ne se fasse pas. »

Joanna Leblond, sage-femme au centre hospitalier de Béthune

Une profession méconnue

« Je suis sage-femme depuis 15 ans, c’est une profession pas bien connue. Les sages-femmes ne font pas que les accouchements. On n’est pas valorisées vraiment pour ça. C’est une profession médicale, alors qu’on est toujours considérées en paramédical. Nos salaires, nos revalorisations ne suivent pas. Une sage-femme peut suivre la femme pendant toute sa vie de femme. Pendant la grossesse mais aussi après, et suivre le bébé ensuite.

On suit une formation universitaire de 5 ans avec une première année commune avec la médecine. Il faut passer le concours avec les médecins, chirurgiens etc. Le salaire en début de carrière est de 1 900 euros, en fin de carrière 3 900 euros. En libéral c’est plutôt dans les 2300-2400 euros. La PMI, elles ont les mêmes grilles que nous. La profession est plus représentée par les femmes, avec 4% d’hommes.

Dénoncer nos conditions de sécurité et d’accompagnement des femmes

En fin d’année, il y a eu des grèves de sage-femme pour dénoncer nos conditions de sécurité et d’accompagnement des femmes. Il y a de plus en plus de grosses structures. Le nombre d’accouchement augmente mais on laisse le même nombre de sages-femmes. On ne peut pas suivre les femmes comme on voudrait. Les conditions de travail se sont dégradées. Le but c’est d’ouvrir les grands centres et de fermer les petits centres. J’ai de la chance, je peux encore m’occuper de mes patientes correctement mais j’ai plein de collègues qui courent tout le temps.

Ce qu’on a obtenu, c’est super bien, mais on a besoin de plus. On a une augmentation de 500 euros annoncée, mais dedans il y a la prime Ségur. Et une autre prime mais qui ne sera pas comptée dans la retraite et pourra être arrêtée n’importe quand. En fait il ne reste que 78 euros qui sera du vrai salaire, et qui sera compté dans les retraites. Et ça ne concerne pas tout le monde.

Un allongement à 6 ans de la formation est prévu. Mais qui voudra faire 6 ans d’études pour 1900 euros/mois ? Après les sages-femmes partent en libéral. A l’hôpital on a de plus en plus de mal à recruter. On verra si avec un cursus de 6 ans ça ne sera pas encore plus dur… Surtout qu’on propose CDD sur CDD, mais pas de stagiarisation. Et une fois qu’on est en CDI il n’y a pas d’augmentation, pas de perspective. »

Marjorie Deroux, aide-soignante

Des conditions de travail qui se dégradent

« Je suis aide-soignante depuis 40 ans. Je fais un travail de nuit, avec des conditions de travail qui se sont beaucoup dégradées.

Mon métier correspond à la convention collective 5. Elle était réputée au départ pour un bon niveau mais est sacrifiée depuis les dernières années. Quand on commence, on a des salaires inférieurs au SMIC. Et nos salaires n’augmentent pas en même temps que le SMIC, avec une grosse perte de pouvoir d’achat.

C’est une profession à majorité féminine, avec des temps partiels subis. On n’a pas le choix.

C’est par ailleurs un métier très éprouvant physiquement et mentalement. On est usées physiquement, on a énormément de problèmes de dos. On termine souvent avec des inaptitudes. Seulement 1 aide-soignante sur 2 arrive à la retraite. Il n’y a aucune prise en compte de la pénibilité de nos métiers. Et un manque cruel de personnes diplômées. Même les agences d’intérim ne peuvent pas nous fournir de monde. Énormément d’infirmières ont donc changé de métier. On travaille avec des gens qui sont des « faisant-fonction ». Ils font le métier sans avoir la formation.

Un métier vidé de sa substance

Résultat, on se retrouve avec plein d’accidents de travail dus aux mauvaises conditions. Et avec un glissement des tâches entre médecins/aide-soignante/infirmiers. L’aide-soignante prend en charge la glycémie, les médicaments, … mais rien n’est mis en place en face.

On nous appelle sur nos jours de repos, on nous oblige à travailler même si on a le covid, on repousse nos congés payés parce qu’il n’y a personne.

Nos métiers n’attirent donc plus du tout. Notre corps de métier est vidé de sa substance. Le relationnel n’est plus pris en compte. On n’est pas un tiroir-caisse, on n’a pas affaire à des objets mais à des humains. La direction oublie ça totalement. On a affaire à des gens en fin de vie et on veut juste qu’ils finissent dignement leur vie. »

Conclusion - Céline Verzeletti, secrétaire confédérale de la CGT

Ce webinaire est un moment important pour notre organisation, notamment pour renforcer notre campagne, pour préparer au mieux le 8 mars, pour avancer sur les questions d’égalité. Au niveau revendicatif, nous devons encore avancer car nous sommes concentrés sur certains métiers.

Récemment, on observe une multitude de journées d’actions et de grèves dans des secteurs peu mobilisables d’habitude parce que ce sont des professionnelles qui exercent leur métier en autonomie. Elles sont en effet dans des secteurs où le collectif est restreint, où le code du travail est difficile et où la précarité est importante et les salaires très bas. Lorsqu’elles se mettent en grève, elles s’exposent donc à des risques plus élevés que les autres travailleurs.

Mais malgré cela, on a pu voir ces professionnelles-là réussir à se mobiliser, et de manière très forte. Elles ont en plus été particulièrement éprouvées dans la période pandémique. Des professionnelles encore plus épuisées qu’avant la pandémie. Les promesses de reconnaissance et de revalorisation n’ont pas été suivies d’actes. Donc les mobilisations se sont multipliées.

Regardez le replay de ce webinaire en version intégrale ! 

Et pour la prochaine mobilisation, rendez-vous le 8 mars ! 

 

 

 

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