Plus de 200 initiatives sur le territoire, des débrayages à 15h40, une mise en avant des professions féminisées… Des dizaines de milliers de personnes ont manifesté un peu partout en France et répondu à l’appel à la grève féministe lancé par une soixantaine d’organisations. Le 8 mars 2022 a bien été la déferlante pour l’égalité promise.

Reportage à Paris par Chrystel Jaubert

La Journée internationale de lutte pour les droits des femmes a mobilisé !

C’est une marée violette qui a déferlé dans les rues de Paris. Cette année, la Journée internationale de lutte pour les droits des femmes a mobilisé sur plusieurs sujets et notamment sur les violences sexistes et sexuelles, l’égalité salariale et la solidarité internationale, contexte oblige. 

Gare du Nord, les différentes organisations prennent leur place jusqu’à constituer un cortège qui s’ébranle derrière la banderole « Déferlante féministe pour l’égalité ». Une soixantaine d’organisations, dont la CGT, ont en effet appelé à cette grande journée de grève et de mobilisations. Les organisations annoncent 35 000 manifestant·es dans la capitale.

Un #8 mars gai aux accents graves

Sur fond de ciel bleu, les musiques s’entremêlent en une cacophonie plutôt joyeuse. On danse, on chante. On convoque Dalida sur l’air de « Laissez-moi danser ». Les manifestantes entonnent « Mon corps m’appartient, rien qu’à moi, ni au capital, ni au patriarcat, pas à toi ». Plus loin, les femmes syriennes et des percussions traditionnelles. Des youyous, une batucada et les playlists de chaque camion des organisations syndicales.

L’ambiance est joyeuse en ce début d’après-midi, mais le fond est grave. En attestent les pancartes brandies et les mots d’ordre repris par la foule.

Les violences sexistes et sexuelles ainsi que les féminicides et les noms des victimes qui s’affichent sont autant de dénonciations. Le ministre de l’Intérieur, toujours en place malgré des accusations d’abus sexuels, le soutien sans faille du président de la République à ses ministres ou aux collaborateurs mis en cause. Une inaction masquée derrière un marketing politique éprouvé.

Un candidat d’extrême-droite accusé d’agression et de comportement déplacé par huit femmes… Dans cette période de campagne présidentielle, les discours sexistes, homophobes, transphobes et racistes, totalement désinhibés, trouvent des relais médiatiques infinis. Les stigmatisations vont bon train et dans le cortège, beaucoup les dénoncent ou les tournent en dérision. Il n’empêche qu’elles sont là, bien présentes. Nul besoin de poursuivre la litanie. À l’ère #MeToo, on dit, on dénonce, mais comme le remarquent bon nombre de femmes, la justice se fait attendre.

Au coeur de la marche, la solidarité internationale

Tout au long du cortège, les questions internationales sont bien présentes et très incarnées. Afghanes, Syriennes, Turques, Palestiniennes, Algériennes, Ukrainiennes, latino-américaines… sont autant de victimes de la guerre, de la répression, d’exactions et de violences.

Le 8 mars, c’est aussi une journée de solidarité entre les femmes du monde entier et ça s’est une nouvelle fois vérifié. Beaucoup brandissent la pancarte « Femmes migrantes, vous êtes chez vous », très présente dans la foule. Bien sûr, la solidarité à l’égard de l’Ukraine prend parfois le pas et comme l’indique une manifestante : « L’élan de soutien aux femmes ukrainiennes n’est pas en cause, mais on aimerait la même solidarité vis-à-vis des syriennes ou des afghanes ».

À côté d’elle, une femme rappelle que la police a saccagé des tentes à Calais comme à Paris. Elle rappelle aussi les condamnations pour délit de solidarité de militant·es venant en aide aux migrant·es et plus généralement, les milliers de personnes dormant chaque nuit dans la rue.

"Premières de corvée", le combat des travailleuses

En terme d’injustice, elles ne sont pas en reste. Les travailleuses essentielles à la société, celles qui ont maintenu le lien social pendant la crise, applaudies et remerciées, aussitôt oubliées, sont mises à l’honneur en ce 8 mars. Les salariées des métiers du lien et du soin, hôpitaux, Ehpad, aide à domicile, services à la personne, nettoyage… les premières de corvée ne veulent plus passer au second plan. Les conditions de travail pénibles, l’amplitude horaire à rallonge, la précarité, les bas salaires constituent le quotidien de ces femmes.

Elles arborent des pancartes violettes : « Double journée, demi salaire », « Premières de corvée, sous payées, dévalorisées, ça suffit ! » ou encore « L’égalité des salaires ne doit pas être une parole en l’air ». Même s’il est vrai que déterminées à obtenir la reconnaissance qui leur est due, toutes ces femmes précaires se sont mobilisées ces derniers temps, ont fait grève, réclamé, manifesté.

Toutefois, les gratifications se font toujours attendre. Comme l’indique Sophie Binet, responsable confédérale CGT en charge de l’égalité femmes-hommes, « Cette mobilisation sert à exiger la revalorisation des métiers féminisés. On fête cette année les 50 ans de la loi sur l’égalité salariale et pourtant, il y a toujours 28,5 % d’écart de salaire entre les femmes et les hommes ».

L'interview dans son intégralité :

Des écarts liés au fait qu’il ne s’agit pas des mêmes métiers et que les métiers dans lesquels les femmes se concentrent, sont moins bien payés.

Pour la CGT, il faut mettre en place des sanctions pour non-respect de la loi, augmenter les salaires, instaurer la transparence sur les déroulements de carrière, mettre un terme aux temps partiels subis qui enferment les femmes dans la précarité.

Bilan Macron : nul pour les femmes

En ces temps de campagne électorale, la politique s’invite dans le cortège. Comme le relève Céline Verzeletti, secrétaire confédérale de la CGT, « On attend beaucoup de ce qui sera proposé en matière d’égalité salariale ». Sur ce point, le bilan du quinquennat qui s’achève est inexistant. Selon elle, rien d’efficace n’a été mis en place. Le simple respect des lois existantes n’est pas à l’ordre du jour. Que ce soit dans le public ou dans le privé, aucune sanction ne s’applique aux entreprises contrevenant à la législation. Quant aux violences faites aux femmes, même incurie. L’accompagnement des victimes n’a pas été organisé. La justice ne passe toujours pas. « Il n’y a que des mots, pas d’actes et vraiment, ça suffit ! »

De la Gare du Nord à l'hôpital Thonon... ensemble, rassemblé.es autour des luttes

Plusieurs événements sont prévus au cours de la journée. Des haltes avec des prises de parole, des moments forts.

15h40, sit-in aux abords de la place de la République.

« On arrête toutes » et toute la manifestation s’assied.

Le symbole n’est pas anodin. 15h40, en effet, c’est l’heure à laquelle, chaque jour, les femmes ne sont plus payées par rapport à leurs homologues masculins et travaillent donc gratuitement.

Dénonciation de la violence faite aux femmes à Voltaire

Au métro Voltaire, des étudiantes prennent la parole pour dénoncer les violences, le harcèlement et l’omerta qui empêchent d’étudier dans de bonnes conditions. L’une d’elles dit être à bout : « On en a marre d’en ramasser à la petite cuiller ».

Au cimetière du Père-Lachaise, autre ambiance : « Grande cause du quinquennat, bla-bla »

Voilà ce que disent les pancartes. Lors de sa campagne de 2017, Emmanuel Macron promettait de faire des violences faites aux femmes la grande cause de son quinquennat. Les organisations réclamaient un milliard pour prendre le problème à bras-le-corps, notamment pour créer des structures d’accueil d’urgence, et le réclament toujours faute d’avoir été entendues. Sur son mandat, le nombre de féminicides s’élève à 600.

La prise de parole qui ouvre cette séquence est ponctuée de sifflements, voire d’insultes lorsque l’inaction du gouvernement est évoquée. Pour rendre hommage à ces femmes mortes sous les coups, les organisatrices de la marche ont distribué 600 feuilles avec, en noir sur fond blanc, un nom, un âge. Froidement. 600 noms tenus par 600 femmes, d’abord debout, puis couchées au sol lors d’un die-in, avant de se relever poing dressé, devant l’entrée principale du cimetière.

L’émotion est grande, le silence très pesant. Plus de musique, plus de sourire, plus rien. Le recueillement, seul.

Dénonciation des conditions de travail à Gambetta

Le cortège s’ébranle à nouveau et devant le métro, c’est une AESH (accompagnante d’élève en situation de handicap) qui évoque son métier : les luttes en cours pour obtenir des revalorisations de salaire et un vrai statut. Remontant vers la place Gambetta, nouvelle halte. On interpelle Roselyne Bachelot sur la situation faite aux salariées du ministère de la Culture.

Puis dernière étape, face à l’hôpital Tenon. À la fin de la marche, une infirmière prend la parole. Elle évoque les métiers du soin à l’hôpital, en Ehpad, à domicile… Ces métiers occupés à 80 % par des femmes, mal payés, pénibles : « Ça fait des années qu’on demande des augmentations et qu’on n’a eu que des miettes pour l’hôpital et rien ailleurs ». En effet, avec les oubliées du Ségur, la boucle est bouclée. La mobilisation du 8 mars s’achève comme elle a commencé, sur une nouvelle action de visibilisation de toutes ces femmes essentielles à la société.

@crédit photos : Chrystel Jaubert

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