En cas d’impayés de salaire, le conseil des prud’hommes est compétent pour statuer. Dès lors qu’il prononce une décision favorable au salarié, encore faut-il recouvrer la créance. Maître Régis Granier, commissaire de justice et membre du bureau de la Chambre nationale des commissaires de justice, explique la procédure de recouvrement et la façon dont il peut intervenir pour les salariés de particuliers employeurs.

Me Granier parle des impayés et des recouvrements de salaire pour le cas des particuliers employeurs
Me Régis Granier

Comment les salariés du particulier employeur (SPE) peuvent-ils se défendre en cas d’impayés de salaire ?

"Les impayés de salaire constituent par définition une urgence"

Il n’y a pas de particularité. Ces salariés se retrouvent dans le cadre du droit commun. Ça veut dire qu’il faut que le titulaire de la créance fasse valoir ses droits auprès du tribunal, obtienne une condamnation et la fasse exécuter par un commissaire de justice. Les salaires impayés relèvent du conseil des prud’hommes. Mais cela ne constitue pas en soi une possibilité d’engager tout de suite une exécution forcée. Ce n’est pas par exemple comme un chèque impayé où il y a une procédure particulière qui permet de se passer du tribunal.

Les salariés victimes d’impayés de salaire peuvent obtenir du conseil des prud’hommes ce qu’on appelle une ordonnance sur requête. Elle permet de bénéficier d’une décision très rapide. Cette ordonnance ne se prononce que sur les salaires et elle est exécutoire de plein droit. Cela signifie que même si le particulier employeur relevait appel, ce ne serait pas suspensif et qu’on peut exécuter. Si jamais le demandeur perd en appel, à charge pour lui de rembourser l’exécution de la décision de première instance. La possibilité de demander une ordonnance sur référé n’est pas propre aux prud’hommes, ni à la matière du salaire impayé. Mais il faut qu’il y ait une urgence. Or le conseil des prud’hommes considère quasi systématiquement que les impayés de salaire constituent par définition une urgence.

Le "fond" du problème

Ensuite, il y a l’assignation au fond, la saisine au fond, pour juger du bien-fondé. Si, sur l’ordonnance, le tribunal a rendu une décision favorable, c’est qu’il a estimé qu’il n’y a aucun doute sur l’existence de ce salaire impayé. En revanche, il n’a pas statué sur le fait que cela mérite ou non des dommages et intérêts ou si le licenciement est abusif et entraîne une indemnité… Ça, ça sera au fond. L’ordonnance de référé permet aux salariés de plus vite obtenir un titre exécutoire à transmettre au commissaire de justice pour le faire exécuter en attendant la décision au fond.

Lorsqu’il y a un litige en matière d’assurance par exemple, l’assuré peut obtenir le versement d’une provision parce que le tribunal considère que le règlement des litiges d’assurance peut être très long. S’il n’y a aucun doute sur le fait que l’assurance sera amenée à intervenir, le tribunal condamne à une provision. Et dans un deuxième temps, il y aura les expertises qui pourront prendre des mois ou des années. Pour revenir à la question des impayés de salaire, il faut un titre exécutoire pour qu’un commissaire de justice intervienne et recouvre la créance.

Qui fait appel à vous et comment opérez-vous ?

"Un accord est la meilleure des solutions"

De façon générale, les demandeurs vont assez rarement tout seuls devant un tribunal. Il en est de même pour le conseil des prud’hommes. Ils se font accompagner soit d’un défenseur syndical, soit d’un avocat. Ce dernier devient le mandataire et vient nous trouver la plupart du temps, après avoir mis en demeure l’adversaire de s’exécuter. Dans mon étude justement, on a de temps en temps des dossiers pour le représentant de la CGT qui défend les salariés aux prud’hommes. On finit par bien le connaître. Il écrit en laissant quinze jours à l’avocat de l’adversaire de s’exécuter et à défaut, nous apporte le dossier.

En tant que commissaire de justice, on commence souvent par un commandement de payer avant saisie. Si la personne est de bonne foi et de bonne volonté, qu’elle se rapproche de notre étude, on peut trouver un accord sur un étalement par exemple. Parce qu’on apprécie bien sûr la situation financière de la personne condamnée à payer. Si la proposition que fait cette personne est raisonnable eu égard à sa situation, on l’accepte. L’immense majorité de nos dossiers trouve une issue amiable, de l’amiable un peu forcé. J’envisage une exécution forcée uniquement si cela peut rapporter plus, sinon ce n’est pas la peine de générer des frais qui viendront retarder d’autant le recouvrement. Il faut être pragmatique. Un accord est la meilleure des solutions.

Trois moyens d'action essentiels pour les recouvrements

Malheureusement, ce n’est pas toujours possible. Dans le cas de personnes de mauvaise volonté, nous avons à notre disposition trois moyens d’action essentiels, surtout dans le cas où l’employeur débiteur est une personne physique. La première arme, la plus efficace, c’est la saisie du compte bancaire, une saisie-attribution. Après, il y a la saisie-vente, c’est-à-dire la saisie mobilière. Elle n'est pas telle que les gens l’imaginent et pas d’une grande efficacité parce qu’aujourd’hui, les gens sont meublés avec du mobilier qui n’a pas grande valeur marchande. In fine, c’est la saisie sur les rémunérations, c’est-à-dire sur salaire, sur une pension de retraite ou une allocation de chômage. Si on apprend que la personne a perçu ou doit percevoir un héritage par exemple, on peut aller faire une saisie entre les mains du notaire.

En revanche, on ne peut pas saisir les prestations sociales. On est complètement dans le droit commun, avec les armes traditionnelles qui permettent d’aller saisir l’argent où qu’il se trouve dès lors qu’il est dû à part ce qui est insaisissable. C’est-à-dire prestations sociales, RSA, pension d’invalidité… Je les cite parce que le recouvrement d’impayés de salaire auprès de particuliers employeurs, ce n’est pas du tout la même chose qu’un recouvrement contre une entreprise qui peut être solvable. Ce n’est pas parce qu’un particulier a un employé qu’il en a les moyens.

Certains particuliers employeurs continuent à déclarer leur assistante maternelle à Pajemploi et percevoir les aides. Pouvez-vous intervenir dans ces cas-là ?

Sur Pajemploi, comme pour toute autre institution publique, on ne peut pas dénoncer. Ce n’est pas à nous de porter à leur connaissance un abus. Même si, dans le cadre de notre activité, on fait ce type de constat, on n’a pas le droit d’en informer Pajemploi ou l’Inspection du travail par exemple. C’est la même chose dans les cas où des gens travailleraient au noir alors qu’ils seraient en arrêt de travail. Ce n’est pas à nous d’agir. C’est le rapprochement des fichiers entre les différentes administrations qui doit jouer.

Sachez qu’il existe des contrôles puisque, parfois, nous sommes amenés à intervenir au profit de Pajemploi pour récupérer des trop-perçus. Comme pour Pôle emploi, l’information ne remonte pas instantanément. Il peut y avoir quelques mois de latence entre le versement des prestations, la remontée des données et la vérification. Il est donc possible qu’à un moment, on demande des comptes à ces particuliers employeurs qui n’ont pas versé le salaire de leur assistante maternelle tout en continuant à la déclarer et percevoir le CMG.

Des assistantes maternelles ont évoqué le cas de particuliers employeurs qui avaient organisé leur insolvabilité pour ne pas les payer. Qu’en pensez-vous ?

Des accès variables aux données du débiteur du salaire

Malheureusement, on ne peut pas récupérer une créance auprès de quelqu’un qui est insolvable. En France, la contrainte par corps n’existe pas. Le débiteur trouve que le commissaire de justice a trop de pouvoir, mais le demandeur trouve qu’il n’en pas assez ! C’est humain. Il faut savoir qu’avant de procéder à une saisie, par exemple, nous avons accès à un certain nombre d’éléments, dont les fichiers bancaires, à partir du moment où on a un titre exécutoire pour pouvoir les exploiter. De même que les administrations publiques sont tenues de nous répondre et de nous communiquer les éléments. Avec plus ou moins d’efficacité. Par exemple, les impôts ne peuvent donner que la précédente déclaration de la personne. Elle peut avoir changé de situation depuis.

Mais si l’employeur indélicat est salarié, on obtient l’accès à sa situation (contrat, salaires). S’il a un compte bancaire, on y a accès. S’il a une voiture, on obtient les coordonnées de sa voiture par le biais du service d’immatriculation des véhicules. Mais on n’est pas Big brother et on n’a pas accès à tout, malheureusement, parce que les décisions de justice sont rendues au nom du peuple français. Tout n’est pas fait pour nous faciliter la tâche contrairement à ce qu’on croit. Certes, un certain nombre d’accès nous sont autorisés.

De rares cas d'insolvabilité

En revanche, soyons clairs, si on est face à quelqu’un qui est au RSA, hébergé chez quelqu’un donc par définition n’a pas le moindre mobilier à lui et qui n’a pas de voiture, c’est insolvable. Certes les particuliers employeurs ne sont pas logés à la même enseigne qu’une grosse entreprise, mais les cas d’insolvabilité sont rares. Que ça n’aille pas assez vite, je peux l’entendre. Mais que ça ne marche pas, qu’on n’y arrive pas, je l’entends moins. Comme nous sommes en bout de chaîne, c’est souvent sur nous que retombent les mécontentements. Ce n’est pas parce qu’une décision de justice favorable a été prononcée que c’est gagné. Dans certains cas, on dit aux gens que ce n’est pas la peine d’aller plus loin, que cela va leur coûter de l’argent pour rien. Ils ne nous croient pas.

Justement, combien coûte une procédure de recouvrement et qui paie ?

La particularité du recouvrement des salaires impayés, qui n’est pas propre aux SPE, c’est qu’il ne nous donne pas droit à des honoraires. Je m’explique. Nous percevons les frais de procédure, c’est-à-dire les actes de saisie, mais nous n’appliquons pas d’honoraires sur le demandeur contrairement à d’autres situations où nous sommes amenés à intervenir. Salaire s’entend au sens large, c’est-à-dire salaire, congés payés, indemnités de licenciement. Si par contre, la personne obtient des dommages et intérêts, là nous percevons des honoraires à la charge du demandeur.

De façon générale donc, le recouvrement d’impayés de salaire ne donne pas lieu à des honoraires, mais il y a des frais de procédure qui sont à la charge du débiteur sauf impécuniarité de celui-ci. Je m’explique : je prends le dossier, je commence à l’instruire et là, je découvre que la personne est insolvable. Je vais donc réclamer ces frais à la personne qui m’a mandaté pour recouvrer la créance. On peut donc avoir une personne qui gagne son procès, mais qui pourrait, dans ce cas extrême, avoir à supporter les frais de procédure. Bien évidemment, il y a une fois des frais de procédure, pas cinquante fois.

On sait très vite à qui on a affaire. Si une personne perçoit le RSA, on peut espérer que l’administration a fait son travail et vérifié qu’il n’y avait pas d’autres revenus. Ce n’est donc pas la peine d’aller saisir le compte bancaire qui n’est alimenté que par des sommes insaisissables. Les demandeurs qui bénéficient de l’aide juridictionnelle n’ont absolument rien à payer, c’est évident.

Quels conseils donneriez-vous aux salariés victimes d’impayés ?

En matière de recouvrement, il ne faut jamais traîner parce que plus le temps passe, plus la dette augmente et plus le risque d’insolvabilité du défendeur peut s’aggraver. C’est plus facile à dire qu’à faire quand il y une relation d’emploi direct, car il s’agit d’apprécier précisément la situation. Parfois, l’employeur peut lui-même demander de patienter quelques temps, dire qu’il attend une rentrée d’argent. Ce n’est pas toujours facile de quitter un emploi quand on n’a rien à côté, qu’on pense que ça va se régler, qu’on ne va pas risquer de tout perdre.

Je trouve qu’il est difficile de donner des conseils de but en blanc, valables pour tous, sauf à conseiller de manière générale de ne pas laisser traîner et voir la situation se détériorer. Si le particulier employeur, à la demande de son salarié, lui oppose une fin de non-recevoir, alors il ne faut pas attendre, sans se mettre en porte-à-faux, mais en allant immédiatement trouver un conseil, syndicat ou avocat.

Avez-vous une idée du nombre d’impayés recouvrés ?

Il n’existe pas de chiffres sur le taux de recouvrement de salaires impayés, déjà parce que la régularisation peut venir à tout moment. Quand l’employeur voit que son salarié est déterminé à aller au bout, ça peut déclencher le règlement de l’impayé. Ensuite, l’étape de la convocation au conseil de prud’hommes peut jouer et débloquer un certain nombre de litiges. Enfin, il y a la condamnation et là encore, spontanément, certains disent qu’ils ont compris et s’exécutent avant d’avoir des frais et des désagréments occasionnés par un recouvrement forcé par commissaire de justice.

Il y a plusieurs strates. Et même en ne prenant que la strate du recouvrement par un commissaire de justice, ce ne serait pas pertinent parce qu’au bout du bout, ça ne concernerait que les personnes les plus récalcitrantes. Toutes les personnes solvables se sont en général déjà exécutées en amont. Je sais par expérience que lorsqu’il y a localement une antenne d’un syndicat qui fonctionne bien, les choses rentrent dans l’ordre et on arrive à récupérer les sommes dues. Même si c’est toujours trop long pour la personne qui a été victime d’impayés. Comme je le dis toujours, il faut faire valoir ses droits, même si, après, on peut les abandonner.

 

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