L’heure des choix
Consultation des salariées, focus sur certaines professions, prospective, l’enquête de l’Ires sur les métiers du soin et du lien est riche à bien des égards. Rachel Silvera, qui a coordonné l’enquête, et Stéphane Fustec, conseiller de la fédération CGT Commerce et services, ont échangé sur les enjeux du secteur et les enseignements à en tirer pour améliorer la situation de ces femmes.
SF - N’étant pas issu du sérail, je n’ai pas immédiatement mesuré cette complexité des métiers, mais en quinze ans, j’ai progressivement appris à les découvrir, à améliorer mes connaissances et effectivement, j’ai pris conscience de leur complexité. J’avais d’abord le même regard que beaucoup de citoyen·nes, qui consiste à penser que ce sont des femmes et qu’elles savent faire. Or c’est beaucoup plus compliqué qu’il y paraît, surtout en termes de responsabilités. D’ailleurs, dans le face-à-face régulier qu’on a tant avec les aides à domicile qu’avec les assmats, cette idée de responsabilité et le poids que ça implique ressort. On a surtout découvert que c’était un secteur très accidentogène et ça ne tombe pas du ciel, c’est bien parce que les métiers sont pénibles et complexes.
Comment se traduit cette pénibilité au quotidien ?
SF – Tout d’abord, elles ne s’en rendent pas forcément compte. Travaillant en milieu isolé, l’absence de collectif fait qu’elles ne mesurent pas qu’elles se font mal, portent beaucoup, ont de mauvaises postures. Ensuite, les instances paritaires de prévoyance livrent des chiffres qui montrent quelles sont les pathologies développées.
Les TMS explosent, les risques psycho-sociaux aussi.
Là aussi, ça a été une découverte. Leur travail est moins spectaculaire qu’un ouvrier du bâtiment sur un échafaudage, mais il fait davantage de mal et d’ailleurs, le BTP n’est plus en tête des accidents du travail.
RS - Ce qui m’a frappé et que j’ai appris grâce à cette consultation, c’est la superposition des facteurs de pénibilité. Traditionnellement, on a tendance à polariser : aux métiers ouvriers une pénibilité physique et aux métiers plus féminisés, de service et du soin, une charge émotionnelle plus forte.
Il y a trois axes à la pénibilité, les contraintes physiques, les contraintes émotionnelles et les contraintes temporelles.
Elles cumulent toutes ces facettes de la pénibilité, mais les critères retenus sont tels qu’à chaque fois, on invisibilise la pénibilité de ces métiers féminisés.
SF - Les auxiliaires de vie sociale se rendent mieux compte des contraintes de temps à cause des téléphones mobiles et des logiciels avec lesquels elles pointent, qui les fliquent continuellement, les poussent à courir et les empêchent de prendre les cinq minutes de plus qui seraient nécessaires avec une personne âgée. Ce patron dans la poche est un gros facteur de stress. Elles le vivent très mal parce que ce n’est pas le genre de mission qu’on peut définir sur un temps si contraint.
Elles racontent qu’elles sont obligées de faire « du sale boulot », ce qui constitue une violence pour elles car elles font souvent ce métier par empathie, par vocation et qu’elles ont une haute conscience de ce qu’elles font.
C’est d’autant plus violent que les interventions sont de plus en plus courtes pour des questions de rentabilité. Or s’occuper d’une personne en perte d’autonomie en trente minutes, c’est impossible. Il n’y a plus de place pour l’humain, on est vraiment dans une industrie. Toutes les contraintes additionnées sont, comme le disait Rachel, totalement invisibilisées et c’est là le travail syndical qu’on essaie de mettre en œuvre : s’appuyer sur une actualité riche, même si elle part de faits divers scabreux ou de la crise sanitaire, et les rendre visibles. C’est le moment ou jamais. Le gouvernement, ce n’est pas le premier, s’occupe de la petite enfance quand il y a un enfant empoisonné. De même qu’il faut une canicule ou une crise sanitaire pour qu’on parle de l’aide à domicile. Nous attendons maintenant une vraie vision politique à court, moyen et long terme, sans quoi on ne s’en sortira pas. Surtout quand on considère les besoins en termes de démographie, tant pour les bénéficiaires que pour remplacer des salariées qui partent massivement en retraite dans les dix ans qui viennent.
Justement, vont-elles tenir jusqu’à la retraite ?
RS – Plus de 60 % d’entre elles disent qu’elles ne se voient pas exercer ce métier jusqu’à la retraite. Dans la population générale, c’est un peu plus d’un tiers et déjà, tout le monde s’affole. Dans ces métiers-là, elles ne se projettent pas et le pire, c’est que les plus jeunes sont plus de 70 % à le penser. Cela dit l’usure à la fois émotionnelle et physique, latente à toutes ces professions.
SF - Pour autant, le cumul emploi-retraite n’est pas anecdotique. D’après une étude réalisée par l’Observatoire de la famille, 10 % des retraitées conserveraient une activité dans le secteur. À titre personnel, je pensais qu’il y en avait davantage compte tenu du faible niveau de retraite auxquelles elles peuvent prétendre, mais cela représente néanmoins un volume considérable.
Quelle vision portent-elles sur leur métier ?
RS – C’est unanime, l’enquête montre une grande fierté du travail. En attestent les verbatim. Les assmats évoquent un rôle non pas de garde, mais d’accueil, d’éveil, de socialisation, avec un vrai projet pédagogique. Elles intellectualisent leur travail, mais je relève toutefois des paradoxes.
Si elles sont très fières de leur métier, une sur deux ne le recommande pas à d’autres du fait du manque de reconnaissance, des bas salaires et de la dévalorisation. Ce grand écart est frappant.
SF - Il y a beaucoup de départs, on a perdu 15 % d’assmats en dix ans. En effet, il existe ce paradoxe selon lequel elles aiment leur métier, mais ne le recommandent pas. Dans leur analyse figurent la fatigue, les conditions de travail et de rémunération, mais également les problèmes liés à leur agrément et leur relation aux PMI. C’est un gros point noir auquel il va falloir apporter des solutions. Aujourd’hui, chaque département a ses propres règles, contradictoires et floues. Telle une épée de Damoclès, c’est une cause de départ importante et un facteur d’aggravation de leurs conditions de travail. Dans leur livre*, Louise et Sonny Perseil parlent d’ailleurs de cette maltraitance institutionnelle qu’elles subissent et qu’elles vivent très mal.
Quelles sont leurs principales revendications ?
RS - Ce qui est surprenant, c’est que le salaire reste en tête des griefs et des revendications et non pas le sens du travail comme certains l’avancent. Certes, dans les métiers dont on parle, il y a une perte de sens à cause de tout ce qu’on a évoqué, mais fondamentalement, elles ont le sens du travail du fait des relations humaines et de leur utilité sociale. L’une des premières choses qu’elles mettent en avant, c’est la revalorisation salariale, même pour celles qui ont de hauts niveaux de diplômes et de qualifications. Pour elles, parler de revalorisation salariale revient à obtenir une reconnaissance de ce qu’elles font. D’ailleurs, elles ne veulent pas de primes, mais une reconnaissance formalisée dans les grilles. Immédiatement après le salaire, viennent les créations d’emplois et la reconnaissance de la pénibilité. Voilà les trois premières revendications de ces femmes.
SF – Évidemment, la question salariale se pose de manière cruciale.
Le salaire moyen d’une aide à domicile est de 900 euros, nulle ne peut pas vivre avec si peu, encore moins en région parisienne.
Il est normal que la pénibilité arrive juste après. Il suffit de lire les comptes-rendus des CSE dans les entreprises où nous sommes organisés pour découvrir un nombre inquiétant et récurrent d’avis d’inaptitude. Ça n’arrête pas. Pour en avoir discuté dans les ministères, je constate que les pouvoirs publics en sont conscients et un peu inquiets, mais ça n’est jamais suivi d’actions. Voilà des années que les enquêtes montrent que ça explose, que l’inaptitude a un coût, tandis que l’inaction politique demeure, aussi confondante qu’incompréhensible. On cache la poussière sous le tapis. Pourtant, nous ne sommes pas les seuls à alerter, toutes les organisations et toutes les fédérations le font.
RS - Le temps de travail, notamment pour les aides à domicile, les assmats et les AESH, est une question importante qui, certes, rejoint celle du niveau des salaires. Si elles gagnent si peu, c’est parce qu’elles n’ont pas de temps plein malgré une amplitude horaire importante et que la totalité du temps travaillé n’est pas pris en compte comme le relevait François-Xavier Devetter dans un article du Monde où il estimait qu’au moins un quart de temps n’était pas compté, donc non payé alors qu’il le devrait. C’est invraisemblable. Je pense qu’il faut imposer un Smic mensuel et qu’aucune salariée ne soit payée en dessous, les employeurs se débrouilleraient autrement pour fournir des heures en conséquence et les emplois seraient un peu plus décents.
SF – Je confirme le chiffre de 25 % de temps non payé. Une heure de transport non payé pendant trois ans signifie pour une aide à domicile de faire cadeau de 7000 euros à leur employeur. On joue sur ce genre d’exemples pour leur faire prendre conscience que ce n’est pas normal. En France, notre droit du travail est catastrophique en comparaison avec le droit européen, nettement moins favorable pour ce qui est des astreintes notamment. On est mauvais, même si c’est en train de se rééquilibrer grâce à des décisions de la Cour de cassation. Le modèle social français en a pris un coup.
Est-ce que cette enquête a mis en évidence des éléments que vous ignoriez ou n’appréhendiez pas bien ?
RS - Ce qui ressort de ce travail, c’est que les aides à domicile, les Aesh, les assmats, les Atsem exercent des professions où puisqu’aucun diplôme réel n’est requis, elles seraient considérées comme peu qualifiées ou pas qualifiées du tout. Or contrairement à ce qu’on pourrait penser, les responsabilités sont colossales. Par exemple, à la question du temps nécessaire pour bien maîtriser son travail, une Aesh et une assmat sur deux disent qu’il faut plus d’un an. Ce qui pose question quand en face, certain·es considèrent qu’il n’y a pas besoin de diplôme et nient tout le travail invisible de ces personnes soi-disant peu qualifiées. Il y a dix ans déjà, j’avais écrit que les métiers non qualifiés n’existaient pas. Et là, surtout dans ces domaines, des compétences sont forcément mises en œuvre, ce n’est pas juste un prolongement naturel des activités domestiques. En outre, la question de l’isolement n’est pas assez traitée alors que pourtant, beaucoup disent en souffrir. Elles sont autonomes dans leur travail mais pas au sens positif du terme, plutôt au sens « débrouille-toi ». Cet aspect m’a également surprise.
SF - Cette notion d’isolement renvoie aux relations avec les PMI. Quand les assmats ont besoin de quelqu’un, la PMI ne répond pas. Elle contrôle, sanctionne, mais n’accompagne pas. Cela fait longtemps qu’on propose une sorte de conseil national des PMI qui pourrait rendre les règles plus homogènes, plus axées sur l’accompagnement que sur la sanction. En termes de diplômes, les travaux menés actuellement sur la petite enfance vont peut-être aboutir à ce qu’on ait un niveau 4 de formation, ce qui serait une bonne nouvelle. Il y a en tout cas une prise de conscience. Pour l’instant, les rapports s’accumulent, extrêmement intéressants, riches et concordants, mais aucune décision politique n’en découle. À chaque nouveau ministre, on repart à zéro alors que l’urgence est absolue. Si l’on ne règle pas les problèmes maintenant, dans cinq ans, il sera trop tard.
On ne parvient plus à recruter, les crèches ferment et dans les crèches privées qui poussent comme des champignons, les salariées disent vivre l’enfer.
Elles parlent d’enfants qui ne sortent jamais, d’un système de volantes qui, dès qu’il y a un contrôle de la PMI, viennent ponctuellement renforcer les effectifs pour être dans les ratios. C’est de la triche généralisée. Quand une salariée identifie une situation de maltraitance, elle est mise à l’index. Ces femmes ne sont pas plus protégées que des aides à domicile confrontées à des cas de harcèlement sexuel, elles n’ont pas de direction pour les défendre. Voilà le quotidien, il faut qu’on trouve des solutions pour l’améliorer.
La première partie brosse des pistes chiffrées pour pourvoir aux besoins. La solution réside-t-elle dans la création d’un service public de la petite enfance et du grand âge ?
SF - Quand on parle de service public de la petite enfance, je ris jaune parce que c’est juste une appellation et que le gouvernement ne parle jamais d’un vrai service public. Il va donner de l’argent aux entreprises privées, se moque du modèle des crèches familiales qui est en train de plonger. Ce qui relève du public et leurs représentants ne sont même pas autour de la table. Le gouvernement a saisi le Cese qui a produit un avis très intéressant, mais il n’est pas du tout sur les préconisations de l’avis. Sa question est de savoir combien on doit donner au secteur lucratif pour qu’il y ait le nombre de places suffisant.
RS - Il existe une confusion entre service public de la petite enfance et droit d’accueil pour l’enfant. Le déficit de places est déjà colossal, quelle que soit la formule.
Un vrai service public du grand âge et de la petite enfance est essentiel.
Ceci dit, qu’il y ait un encadrement, des objectifs qui relèvent effectivement de l’État et de décisions publiques parce qu’on a à faire à des populations et que ça fait partie du modèle social, c’est important, mais la vraie question qui a d’ailleurs été soulevée par la CGT, c’est qu’il ne s’agit pas que d’emplois de fonctionnaires. Le secteur associatif a déjà bien sa place, il ne s’agit pas de le remettre en cause. Il convient d’avoir une mission de service public et un contrôle. J’estime que le privé lucratif n’y a pas sa place.
SF - Mon curseur, c’est la qualité du dialogue social et je vois où il est bon et là où il n’y en a pas. Je vois aussi les failles du service public, par exemple dans le fait que les assmats travaillant dans des crèches familiales ne soient pas fonctionnaires et aient des droits au rabais. Le caractère hétérogène du secteur rend les débats compliqués, mais sur le fond je suis d’accord, dans un monde idéal, un vrai service public serait parfait. Mais c’est un débat en interne, que dit-on à ces personnes qui viennent du lucratif ou de l’emploi direct par des particuliers ? Qu’on ferme et qu’on n’a plus besoin d’eux ? Quand il y a un vrai dialogue social, on avance. Même s’il reste encore beaucoup à gagner, la nouvelle CCN de l’emploi à domicile a fait avancer les droits. Avec le privé lucratif, rien n’est possible, on ne discute pas et de toute façon, c’est incompatible de gagner de l’argent sur des besoins humains essentiels. L’emploi par des particuliers ne repose pas sur une recherche de profit. C’est là mon curseur personnel. Je redoute que le lucratif ne capte tout l’argent que l’État va dégager. L’enquête a chiffré ce qu’il faudrait mobiliser et maintenant qu’on a connu le quoi qu’il en coûte, on sait que c’est possible. Ça n’a rien de choquant de mobiliser trois points de PIB alors qu’il y a quelques années, on nous aurait ri au nez.
RS - J’avais comparé le coût chiffré par l’étude, autour de 88 milliards d’euros : c’est à peu près équivalent à la fraude et à la moitié des aides publiques aux entreprises.
SF - Ce qui est effrayant, c’est que les chiffres du nombre d’emplois nécessaires ne tiennent pas compte de la question démographique.
RS – En effet, c’est à minima, il n’y a pas de projections sur l’évolution de la population et la revalorisation est partielle, elle ne tient pas compte de tous les critères que l’on a abordés, ce n’est qu’un socle. Je suis surtout inquiète de voir le privé lucratif s’installer. Les Landes est le seul département qui a pris le parti de n’avoir aucun emploi privé dans l’aide à domicile. C’est donc possible et je pensais que cela allait être scruté de près, mais ce n’est pas le cas. Ça me terrifie.
SF – Le secteur lucratif grignote sur l’associatif et sur le modèle du particulier employeur. Avec des soutiens politiques et des fonds publics. C’est un sale modèle et c’est aussi pour ça que je défends l’emploi direct parce que le lien de subordination n’y est pas le même, qu’on y négocie son contrat, ce qui n’est pas le cas dans les entreprises.
RS - En même temps, pour faire avancer les droits, on ne peut pas demander au particulier de tout assumer.
SF – Certes, il y a cette difficulté qui consiste à devenir employeur pour un particulier, mais les partenaires sociaux essaient de trouver des solutions de facilitation et de construire un outil paritaire qui permettra de gérer les droits sociaux, de les rendre effectifs et qui, j’espère, ira plus loin pour devenir une sorte de super-mandataire qui simplifiera la relation contractuelle. Il faut encore un peu de temps, mais ça avance. Ensuite, pour les assmats, la question du financement demeure. Si leur salaire dépasse cinq Smic par jour, le parent ne peut pas payer car il ne bénéficie plus du Complément de libre choix du mode de garde. On est donc en train de travailler à un changement du système, peut-être via une répartition par heure. Normalement, le gouvernement prévoit d’aligner les reste-à-charge selon le mode d’accueil ce qui permettra aux parents de choisir. Ce n’est pas parfait, il reste beaucoup de trous dans la raquette, mais c’est nettement moins cruel que le secteur lucratif.
Dans les face-à-face que j’ai quotidiennement avec les salariées, je constate que les plus maltraitées sont celles qui travaillent pour des entreprises à tous les niveaux.
En quoi le secteur du soin et du lien constitue-t-il un enjeu pour l’égalité femmes-hommes ?
RS – On est parti·es des critères de la loi Roudy sur la valeur du travail. Le fil conducteur, c’est que l’égalité salariale n’est pas seulement « à travail égal, salaire égal », mais aussi « à travail de valeur égale, salaire égal ». Aussi pour définir la valeur du travail, on peut comparer des emplois à prédominance masculine et féminine, comme dans la dernière partie de l’étude, et définir la valeur en fonction des capacités, des diplômes, des responsabilités et de la charge physique et nerveuse.
Il y a plusieurs axes pour parvenir à l’égalité salariale : remettre en cause le temps partiel, la ségrégation professionnelle et donc la non-mixité des emplois, la différence d’accès aux primes et au déroulement de carrière. Il y a aussi le volet des métiers ultra-féminisés qui sont systématiquement dévalorisés. Un des leviers de l’égalité salariale et donc de l’égalité tout court, c’est de revaloriser ces métiers. Si on a choisi ce secteur-là pour notre étude, c’est évidemment en lien avec la crise covid et parce qu’il incarne aussi tout ce qu’on a pu dire sur cette idée de vocation, de prolongement de dispositions féminines et ce paradoxe entre l’utilité sociale et la dévalorisation systématique. C’est aussi un enjeu d’égalité, car in fine, à chaque fois qu’il y a eu des crises, faute de développement des emplois dans ces secteurs et faute de structures suffisantes, ce sont les parents, sous-entendu les mères, qui finissent par ne plus pouvoir travailler à temps plein ou par arrêter de travailler pour s’occuper d’un enfant ou d’un parent âgé.
Derrière les besoins de la petite enfance, des personnes handicapées ou en perte d’autonomie, il y a une main d’œuvre invisible et gratuite constituée par les femmes.
L’égalité passe donc par un vrai secteur professionnalisé, reconnu, correctement payé qui permettrait aussi de gagner en mixité. Ce n’est pas l’objectif premier, mais à terme, on pourrait ainsi sortir des stéréotypes de genre, de classe et de race.
SF - D’autant qu’on a quelque six millions d’aidants familiaux en France, sans statut à l’exception d’un petit droit au répit, qui sont des femmes en grande majorité. Mon expérience familiale a été un coup de poing, on se sent très seul, rien n’est fait pour nous aider, on fait appel par principe à des associations mais ce n’est pas satisfaisant car dans mon cas, elles nous envoyaient de toutes jeunes filles pour s’occuper d’une femme atteinte de la maladie d’Alzheimer. Elles partaient en pleurant. C’est inconscient de faire ça. Il s’agit de pathologies lourdes, c’est un métier de les prendre en charge.
Que souhaitez-vous ajouter ?
RS - La question qui se pose désormais, c’est ce qu’on va faire de cette étude et ce que vont en faire les pouvoirs publics. En ce qui nous concerne, on écrit des articles, on communique, on valorise, on peaufine une version synthétique. On prépare aussi une infographie très vivante avec des chiffres, des verbatim et je reste à disposition des équipes syndicales pour les aider à s’en saisir.
Une grande restitution est prévue le 9 novembre au Cese, ouverte au public, avec des temps de débat.
Nous demanderons à la CSI, puisqu’on est parti·es d’une de leurs études, de réagir. Nous aurons aussi une intervention sur la façon dont la France se situe par rapport à ses voisins et un focus sur les sages-femmes. Il y aura évidemment un temps sur la consultation, un temps avec des témoignages de salarié·es et puis un temps de réflexion avec les autres avis du Cese sur le sens du travail. On a proposé à Hélène Périvier (économiste à l’OFCE - Sciences Po et présidente du Conseil à la famille au sein du HCFEA) d’intervenir.
SF - Pour nous, cette étude est un levier important pour l’action syndicale. Elle nous a appris beaucoup de choses parce que le travail mené par des sociologues n’est pas ce qu’on ressent forcément en face-à-face. Il nous fait aborder les difficultés sous d’autres facettes et c’est très intéressant car on est souvent pris dans nos propres schémas. Un regard différent peut justement nous aider à travailler différemment et au plus juste. On est très en phase de toute façon. Les rapports de l’Ires comme celui de l’Igas sont des outils qui vont permettre de faire avancer la prise de conscience. Toutefois le fait que les salarié·es du secteur soient si précaires rend le rassemblement et la mobilisation très difficile à mettre en œuvre.
RS – C’est le propre de ces métiers-là. Les salarié·es sont dans l’action, mais en portant un brassard par exemple, car elles ne peuvent pas laisser tomber les gens dont elles s’occupent. Et puis faire grève a un coût. La crise covid a tout de même généré des organisations, des mouvements, des collectifs sur les réseaux sociaux comme les gilets roses, entre autres, et c’est porteur d’espoir. Ce n’est cependant pas le grand levier de syndicalisation que j’espérais.
SF – Pour ma part, j’ai été surpris par le succès de notre pétition sur la reconnaissance de la pénibilité qui montre qu’on a touché un sujet fondamental. Avec 38 000 signataires, on sait qu’on a trouvé le bon angle d’attaque pour mobiliser les professionnelles et interpeller les politiques et l’étude va nous servir à encore mieux cerner les attentes à l’avenir.
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*Le scandale des assistantes maternelles de Louise et Sonny Perseil (L’Harmattan, 2020)