Retraites, assurance chômage, salaires, inflation, la période n’est pas particulièrement favorable. Le gouvernement poursuit sa casse, faisant fi de la colère qui gronde. Denis Gravouil, membre du bureau confédéral de la CGT, évoque les grands chantiers du moment.

Après la mobilisation du 13 et la conférence sociale, la position du gouvernement a-t-elle évolué sur la question salariale ?

Trop peu. Le gouvernement, comme le patronat, ne veut rien lâcher sur les salaires. Ils sont pour la modération salariale qu’ils justifient par un risque d’inflation.

Or il n’y pas de problème d’inflation en lien avec les salaires, mais en lien avec les profits et les marges considérables réalisées sur le dos des pauvres qui paient le plus cher l’augmentation des prix des produits alimentaires et de première nécessité, dont l’énergie.

Clairement, il faut mobiliser pour défendre l’augmentation des salaires en général et la fin de l’exception des minimas de branche comme dans le commerce et les services où les grilles stagnent en dessous du Smic à chaque augmentation.

Il faut également agir pour l’égalité des salaires entre les femmes et les hommes que le gouvernement a refusé d’inclure dans l’ordre du jour de la conférence sociale, ce qui est un scandale.

Nous avons quand-même réussi à imposer de discuter des temps partiels imposés, généralement subis par les femmes, et de la précarité notamment.

Le gouvernement a obtenu une victoire à la Pyrrhus sur les retraites par le 49.3, mais il est dans une situation défavorable parce qu’il n’a pas de majorité à l’Assemblée nationale et que la colère monte partout sur la question des salaires et de l’inflation. Même s’il fait semblant de lâcher du lest, il n’a pas abandonné ses objectifs de réformer le pays en lui assénant une cure d’austérité libérale, en sabrant dans les droits sociaux et en continuant de libéraliser le code du travail.

Toutefois, il a perdu le rapport de forces sur lequel il s’appuyait durant le premier quinquennat, même si ce rapport de forces n'a pas tourné en notre faveur ! Cependant, plus il y aura de luttes dans les entreprises sur les salaires et mieux ce sera. C’est le moment d'agir !

À la Pyrrhus toujours, le gouvernement a eu à nouveau recours au 49.3 pour faire passer la première partie du PLFSS*. Quels sont les enjeux ?

Je rappelle que ce budget a été successivement rejeté par l’ensemble des organisations syndicales, les caisses de Sécurité sociale et la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale.

En le faisant passer en force, le gouvernement organise l’austérité généralisée, le recul des droits sociaux et la casse de la Sécurité sociale.

Car précisément, l’examen du PLFSS nous a conduit à batailler sur les services publics et notamment l’hôpital qui est dans une situation catastrophique et scandaleuse puisque des gens ne se font pas soigner faute de prise en charge décente. Dans l’un des pays les plus riches du monde, on n’est pas capable de soigner ! C’est un fait qu’il faut continuer à dénoncer en mettant directement en cause le gouvernement et son choix de politiques d’austérité doublement destructrices.

Ce gouvernement cherche de l’argent, pas dans les poches des plus riches, mais dans la modération salariale, dans les poches des retraité·es, des chômeur·ses...

En s’appuyant sur les mobilisations initiées dans la santé et l’action sociale, la CGT appelle à se mobiliser contre le PLFSS le 16 novembre.

D’importantes négociations s’achèvent, sont en cours ou vont s’ouvrir. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

La négociation sur l’emploi des seniors doit démarrer fin novembre. Comme d’habitude, le gouvernement a fait les choses à l’envers et lancé sa réforme des retraites en se disant qu’il verrait bien ensuite comment en pallier les dégâts.

C’est un sujet dont nous devons nous emparer dans les fédérations et dans les négociations de branche. Deux réunions ont déjà eu lieu dans la CGT pour échanger là-dessus, examiner ce qui se faisait dans les branches, les accords, la pénibilité, les départs anticipés et autres, mais ce n’est pas assez généralisé. Il y a des endroits où il y a de bons rapports de forces comme les transports, les ports et docks, mais c’est variable selon les secteurs et les branches.

Concernant les négociations sur l’Assurance-chômage et l’Agirc-Arrco, ce qui intéresse le gouvernement n’est pas d’améliorer les droits des chômeurs·ses et les pensions des retraités·ées, mais de trouver de l’argent. À l’Assurance chômage, comme indiqué le 1er août dans la lettre de cadrage, ce sont 12 milliards d’économies sur quatre ans pour financer France Travail.

À l’Agirc-Arrco, nous apprenions au tout début de la négociation qu’il fallait que nous fassions un don au régime général pour financer les minimums contributifs sans quoi le gouvernement prendrait un amendement dans le débat sur le PLFSS. Le prétexte invoqué, c’est que grâce au report du départ de l’âge de la retraite, l’Agirc-Arrco va faire des bénéfices supplémentaires puisqu’il y aura davantage de cotisant·es et des départs plus tardifs. Techniquement, ce n’est pas faux, mais ce sera en 2032 alors que le gouvernement veut annexer cet argent maintenant.

Dans tous les cas, cela signifie faire payer deux fois les retraité·es : si les excédents actuels existent, c’est parce qu’il y a eu une modération extrêmement forte, contre laquelle la CGT s’est battue en 2019, qui a consisté à appliquer un malus, une décote de 10 % pendant trois ans sur la retraite complémentaire de celles et ceux qui partaient à l’âge légal de 62 ans. Depuis 2019, une personne partie à 62 ans se voyait en effet imposer 10 % de décote, voilà pourquoi les excédents sont revenus. Nous n’avions pas signé, mais nous avions dit que ça ne pouvait être que temporaire, jusqu’au retour à une meilleure fortune.

L’un des enjeux de la négociation Agirc-Arrco était de supprimer ce malus et nous l’avons obtenu, mais le gouvernement continue de brandir la menace. Il veut cet argent pour tenir sa promesse des 1200 euros pour tout le monde, qui consiste plutôt à relever la pension de 5 à 50 euros de certaines personnes aux carrières hachées. Un décret a été pris et pour le financer, après-coup, le gouvernement voudrait pomper dans l’argent des retraites complémentaires qui doit servir à relever le niveau des pensions et supprimer le malus.

Nous avons consulté toutes nos organisations avant d’accepter de signer l’accord de fin de négociation. Nous avons obtenu trois choses : la fin du malus, une revalorisation pour 2023 à hauteur de l’inflation, c’est-à-dire 4,9 %, et le refus, même par le Medef, de laisser filer de l’argent au régime général. Le gouvernement est furieux, nous ne lui obéissons pas, mais le bras-de-fer qui a lieu sur ce sujet-là est très intéressant.

Si le gouvernement décide de passer en force, il prend seul la responsabilité de dire que la revalorisation obtenue sera moindre et qu’il baisse le niveau de la retraite.

Où en est la négociation sur l’Assurance chômage ?

Elle doit s’achever avant le 15 novembre. Là aussi, il y a une tentative de résister en commun, plus compliquée que sur les complémentaires. Certes l’Assurance chômage concerne moins de monde, mais les conséquences sont plus graves parce qu’il y a eu, depuis 2018, des suppressions de l’indemnité et des restrictions sur lesquelles le patronat est d’accord. Ce qu’il ne supporte pas, c’est que le gouvernement veuille préempter la gestion comme pour l’Agirc-Arrco. L’ensemble des organisations siégeant à l’Unedic s’opposent au gouvernement sur cette question. Là, nous ne sommes plus du tout d’accord.

En amont des négociations, le gouvernement a produit une lettre de cadrage. Le patronat a produit à son tour une lettre de cadrage destinée au secteur du spectacle que nous refusons. Nous avions prévenu que dans ce champ-là, nous avions un rapport de force favorable et qu’il n’était pas question d’accepter des baisses. Or le patronat commence avec une première version à -40 % et finalement, s’accorde avec ses allié·es à -15 %. Il en est hors de question pour ce champ que je connais bien et parce qu’en commençant une négociation sur la base d’une telle baisse, cela risque de se produire pour d’autres catégories.

La CGT refuse d’accepter des baisses pour quiconque, ni sur le régime du spectacle, ni sur l’ensemble des précaires pour lesquels nous avons au contraire besoin d’améliorer les droits. Un accord à huit, pour la CGT, c’est un accord qui ne prévoit aucune baisse et améliore tout ce qui pourra l’être via des augmentations pour rattraper les baisses. Notamment pour tous les travailleur·ses saisonnier·es, les intérimaires… qui sont les plus impacté·ées depuis des années par les réformes Macron.

Nous avons eu la confirmation par des chiffres actualisés que le changement de mode de calcul avait permis de réaliser 1 milliard d’économies sur le dos d’1 million de personnes. Nous demandons donc à changer les seuils, à créer une véritable allocation minimale parce que de 40 % de chômeur·ses indemnisé·es, nous sommes tombés à 1 chômeur·se sur 3 dont 40 % en dessous de l’allocation soi-disant minimale de 31 euros par jour.

Il faut donc que nous arrivions à créer un minimum de rapport de force, c’est compliqué, mais comme dit Ken Loach, l’optimisme est une volonté. Nous jouons tout ce que nous pouvons tactiquement en alertant toutes celles et tous ceux que cela concerne, par exemple les assistantes maternelles dont le mode de calcul des allocations (l’activité conservée) est à nouveau dans le collimateur.

Après les Ehpad, des rapports et des livres ont dévoilé la réalité des établissements privés d’accueil des jeunes enfants. Quel regard portez-vous sur ce secteur ?

Le scandale dans l’aide à la personne, dans les services destinés à la petite enfance et au grand âge, c’est que de plus en plus, des entreprises privées font des profits avec de l’argent public. C’est un scandale que ce ne soit pas des services publics et c’est un scandale que ce soit financé par nos impôts via des exonérations.

Nous payons des entreprises sur des champs qui relèvent du service public. Cela se fait sur le dos du service rendu et sur celui des salarié·es, particulièrement les femmes dans ces métiers-là, qui travaillent dans des conditions atroces avec des rémunérations ne permettant pas de vivre.

Il y a donc là deux sujets : un enjeu de service public et l’exigence d’une conditionnalité des aides publiques. Nous leur donnons de l’argent, mais sans obligation en retour, ni contrôle. A minima, il faut donc une conditionnalité des aides publiques et c’est ce que nous réclamons partout. Aucun bilan des niches fiscales et sociales n’est réalisé, alors qu’il faudrait justement en étudier l’efficacité. Certaines fonctionnent, d’autres ne sont que des cadeaux au patronat qui alimentent les profits.

Le gouvernement n’entend rien sur le sujet, mais ce qui est positif, c’est que nous étions seul·es à le dire et que désormais, ça figure dans les appels intersyndicaux. En fait, ces aides posent la question de l’exonération des cotisations sociales, qu’ils appellent des charges sociales.

Une bataille idéologique est menée sur le salaire socialisé parce qu’une bonne partie du patronat dit qu’il veut augmenter les salaires, mais sous réserve d’une baisse de cotisations. Ce n’est pas un gain pour les salarié·es qui perdent ainsi des droits à la Sécurité sociale, au chômage, à la retraite… C’est un marché de dupes. J’aimerais rappeler aussi que derrière tout ça, le Rassemblement national campe sur les mêmes positions. Dénonçons-le.

Pour éviter la casse, syndiquons-nous !

Retrouvez Denis Gravouil sur notre chaîne YouTube.

*Projet de loi de financement de la Sécurité sociale

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