Fin octobre, Aurore Bergé, ministre des Solidarités et des Familles, annonçait son plan pour l’accueil individuel. Revenant sur les principales mesures de ce plan, Stéphane Fustec, conseiller de la fédération CGT Commerce et Services, fait part de ses doutes. Entretien réalisé par Chrystel Jaubert

 

Est-ce que ce plan va permettre de faire bouger les lignes ?

Ce plan n’est pas inintéressant en tant que tel dans la mesure où il reprend un certain nombre de propositions formulées par le comité de filière et appuyées par la CGT. Ce qui nous dérange néanmoins, c’est l’absence d’annonces concrètes. Ce plan déploie de grandes idées, très intéressantes au demeurant, mais concrètement, nous avons du mal à comprendre comment elles vont être mises en œuvre et sans tomber dans le défaitisme, nous nous demandons même si elles seront mises en œuvre un jour. En effet, les seules mesures concrètes ayant été avancées nous emmènent en 2025. Il peut se passer beaucoup de choses d’ici là, notamment un remaniement ministériel, ce ne serait pas le premier, et à chaque fois nous repartons à zéro. La question est de savoir si, cette fois, les annonces d’Aurore Bergé seront suivies d’effets.

 

Pour autant, il y a une prise de conscience de la nécessité de soutenir l’accueil individuel…

C’est au-delà de la prise de conscience puisqu’aujourd’hui, nous sommes devant le fait accompli. Depuis des années, nous alertons sur l’urgence et la nécessité de prendre des mesures immédiates et rien n’a été fait. Il suffit de faire une petite revue de presse pour constater qu’il y a un déficit de modes d’accueil, individuel ou collectif, dans plusieurs départements et de nombreuses communes. Chacun se renvoie la balle, les communes se retournant vers l’État, l’État vers les départements, tandis que les financements ne sont pas fléchés. Dans ses annonces de juin dernier, Élizabeth Borne parlait d’un financement de 6 milliards d’euros, mais nous ne savons toujours pas où ils vont être affectés. Nous sommes très inquiets face à un secteur privé lucratif qui, malgré les scandales auxquels il est confronté, réussit à rebondir et risque de s’emparer d’une grosse part des financements. Ce modèle n’est absolument pas remis en cause par les pouvoirs publics. Certes, davantage de contrôles auront peut-être lieu, mais pas forcément avec plus de transparence. La commission d’enquête proposée par le député William Martinet ne fait d’ailleurs pas l’unanimité, loin de là. Le gouvernement et la droite sont sensibles au lobbying puissant du secteur lucratif des crèches. Nous restons donc dans l’expectative et nous croirons aux avancées quand elles seront effectives.

 

Le privé lucratif coûte cher. Pourquoi le gouvernement ne fait-il pas les comptes ?

La journée d’étude initiée par la CGT au CESE le 9 novembre dernier sur les métiers du soin et du lien a parfaitement fait la démonstration de l’inutilité d’un secteur lucratif qui, à l’arrivée, coûte plus cher qu’un véritable service public. Mais nous sommes depuis des décennies dans une séquence politique où les vannes sont grandes ouvertes au secteur lucratif et plus récemment aux start-ups, ce qui est regrettable. Je ne pense pas, quoi qu’il arrive, que cela règlera les problèmes de pénurie de personnels, de mauvaises conditions de travail ou de difficultés à trouver un mode d’accueil par les parents. En considérant aujourd’hui le nombre d’enfants gardés par leur famille, qui est le mode majoritaire, on évalue mieux les efforts qu’il faudrait mobiliser.

 

Justement, l’Ires a chiffré le coût d’une véritable réponse aux besoins. Est-ce entendu par les pouvoirs publics ?

Ce n’est pas du tout entendu puisque l’annonce forte de la Première ministre était de 6 milliards sur plusieurs années. Or, même en se basant sur le scénario bas de l’enquête de l’Ires, il faudrait 80 milliards, soit douze fois plus que ce qui est mis sur la table  aujourd’hui. Sauf que collatéralement, ce n’est pas une dépense, c’est bien un investissement qui va irriguer et permettre des bénéfices, tant pour les finances publiques que pour les parents, notamment pour les femmes qui pourront davantage accéder au marché du travail. Tous ces effets collatéraux font que l’addition peut paraître lourde –encore que ramené au PIB de la France, ce n’est pas tant que ça- mais constitue en fait un investissement nécessaire.

 

Pour améliorer l’attractivité du métier, quelles seraient les mesures à prendre immédiatement ?

Il y en a plusieurs. Sur l’accueil individuel, l’urgence concerne avant tout les salaires. Nous sommes enfermés dans une espèce de bulle avec des règles d’attribution du CMG qui ne permettent pas de dépasser cinq SMIC par jour sans quoi les parents perdent le bénéfice de l’aide publique. Deuxième étape, il nous faut améliorer les conditions de travail, mais là aussi cela passe par une augmentation des financements publics. Je pense notamment à la réduction du temps de travail car les assmats travaillent 45 heures hebdomadaires, voire plus dans de nombreux cas. Il faut en outre résoudre les difficultés liées aux salaires impayés. Il faut aussi une véritable reconnaissance du métier pour y attirer des jeunes parce qu’aujourd’hui, nous sommes confrontés à un défi démographique énorme : dans sept ans, nous aurons perdu la moitié de nos assmats. Nous en perdons 15 000 par an alors qu’il faudrait 15 000 de plus. C’est le grand écart avec un delta de 30 000. Au vu de cette catastrophe, nous ne pouvons pas nous contenter de mesurettes, ni d’annonces qui devront attendre 2025. Il sera trop tard. On ne redresse pas la barre d’un gros navire comme celui là en un claquement de doigts.

 

Et à plus long terme, que faut-il imaginer ?

Sur le moyen terme, nous devons examiner ce qui se passe dans d’autres pays qui ont fait des choix différents. Si l’effort est déployé sur plusieurs années, qu’il est constant, le regard va changer et les professionnelles auront plus d’appétence à rejoindre ces métiers. L’effort ne doit pas être ponctuel ou lié à l’actualité. Je rappelle que c’est quand même un fait divers sordide intervenu dans une crèche lyonnaise qui a déclenché toute cette prise en compte dans le secteur de la petite enfance. Auparavant, on mettait la poussière sous le tapis et bon gré mal gré, on faisait avec. Aujourd’hui, ce n’est plus possible. L’émotion génère une prise de mesures d’urgence qui ne sont pas à la hauteur des véritables enjeux, sans vision politique sur le court, le moyen et le long terme. C’est pourtant un enjeu majeur. S’occuper de la petite enfance, c’est préparer l’avenir quand on sait quels sont les effets de la qualité de l’accueil sur les enfants entre 0 et 6 ans. C’est là que tout se passe.

Fin octobre, Aurore Bergé, ministre des Solidarités et des Familles, annonçait son plan pour l’accueil individuel. Revenant sur les principales mesures de ce plan, Stéphane Fustec, conseiller de la fédération CGT Commerce et Services, fait part de ses doutes. Entretien réalisé par Chrystel Jaubert

 

Est-ce que ce plan va permettre de faire bouger les lignes ?

Ce plan n’est pas inintéressant en tant que tel dans la mesure où il reprend un certain nombre de propositions formulées par le comité de filière et appuyées par la CGT. Ce qui nous dérange néanmoins, c’est l’absence d’annonces concrètes. Ce plan déploie de grandes idées, très intéressantes au demeurant, mais concrètement, nous avons du mal à comprendre comment elles vont être mises en œuvre et sans tomber dans le défaitisme, nous nous demandons même si elles seront mises en œuvre un jour. En effet, les seules mesures concrètes ayant été avancées nous emmènent en 2025. Il peut se passer beaucoup de choses d’ici là, notamment un remaniement ministériel, ce ne serait pas le premier, et à chaque fois nous repartons à zéro. La question est de savoir si, cette fois, les annonces d’Aurore Bergé seront suivies d’effets.

 

Pour autant, il y a une prise de conscience de la nécessité de soutenir l’accueil individuel…

C’est au-delà de la prise de conscience puisqu’aujourd’hui, nous sommes devant le fait accompli. Depuis des années, nous alertons sur l’urgence et la nécessité de prendre des mesures immédiates et rien n’a été fait. Il suffit de faire une petite revue de presse pour constater qu’il y a un déficit de modes d’accueil, individuel ou collectif, dans plusieurs départements et de nombreuses communes. Chacun se renvoie la balle, les communes se retournant vers l’État, l’État vers les départements, tandis que les financements ne sont pas fléchés. Dans ses annonces de juin dernier, Élizabeth Borne parlait d’un financement de 6 milliards d’euros, mais nous ne savons toujours pas où ils vont être affectés. Nous sommes très inquiets face à un secteur privé lucratif qui, malgré les scandales auxquels il est confronté, réussit à rebondir et risque de s’emparer d’une grosse part des financements. Ce modèle n’est absolument pas remis en cause par les pouvoirs publics. Certes, davantage de contrôles auront peut-être lieu, mais pas forcément avec plus de transparence. La commission d’enquête proposée par le député William Martinet ne fait d’ailleurs pas l’unanimité, loin de là. Le gouvernement et la droite sont sensibles au lobbying puissant du secteur lucratif des crèches. Nous restons donc dans l’expectative et nous croirons aux avancées quand elles seront effectives.

 

Le privé lucratif coûte cher. Pourquoi le gouvernement ne fait-il pas les comptes ?

La journée d’étude initiée par la CGT au CESE le 9 novembre dernier sur les métiers du soin et du lien a parfaitement fait la démonstration de l’inutilité d’un secteur lucratif qui, à l’arrivée, coûte plus cher qu’un véritable service public. Mais nous sommes depuis des décennies dans une séquence politique où les vannes sont grandes ouvertes au secteur lucratif et plus récemment aux start-ups, ce qui est regrettable. Je ne pense pas, quoi qu’il arrive, que cela règlera les problèmes de pénurie de personnels, de mauvaises conditions de travail ou de difficultés à trouver un mode d’accueil par les parents. En considérant aujourd’hui le nombre d’enfants gardés par leur famille, qui est le mode majoritaire, on évalue mieux les efforts qu’il faudrait mobiliser.

 

Justement, l’Ires a chiffré le coût d’une véritable réponse aux besoins. Est-ce entendu par les pouvoirs publics ?

Ce n’est pas du tout entendu puisque l’annonce forte de la Première ministre était de 6 milliards sur plusieurs années. Or, même en se basant sur le scénario bas de l’enquête de l’Ires, il faudrait 80 milliards, soit douze fois plus que ce qui est mis sur la table  aujourd’hui. Sauf que collatéralement, ce n’est pas une dépense, c’est bien un investissement qui va irriguer et permettre des bénéfices, tant pour les finances publiques que pour les parents, notamment pour les femmes qui pourront davantage accéder au marché du travail. Tous ces effets collatéraux font que l’addition peut paraître lourde –encore que ramené au PIB de la France, ce n’est pas tant que ça- mais constitue en fait un investissement nécessaire.

 

Pour améliorer l’attractivité du métier, quelles seraient les mesures à prendre immédiatement ?

Il y en a plusieurs. Sur l’accueil individuel, l’urgence concerne avant tout les salaires. Nous sommes enfermés dans une espèce de bulle avec des règles d’attribution du CMG qui ne permettent pas de dépasser cinq SMIC par jour sans quoi les parents perdent le bénéfice de l’aide publique. Deuxième étape, il nous faut améliorer les conditions de travail, mais là aussi cela passe par une augmentation des financements publics. Je pense notamment à la réduction du temps de travail car les assmats travaillent 45 heures hebdomadaires, voire plus dans de nombreux cas. Il faut en outre résoudre les difficultés liées aux salaires impayés. Il faut aussi une véritable reconnaissance du métier pour y attirer des jeunes parce qu’aujourd’hui, nous sommes confrontés à un défi démographique énorme : dans sept ans, nous aurons perdu la moitié de nos assmats. Nous en perdons 15 000 par an alors qu’il faudrait 15 000 de plus. C’est le grand écart avec un delta de 30 000. Au vu de cette catastrophe, nous ne pouvons pas nous contenter de mesurettes, ni d’annonces qui devront attendre 2025. Il sera trop tard. On ne redresse pas la barre d’un gros navire comme celui là en un claquement de doigts.

 

Et à plus long terme, que faut-il imaginer ?

Sur le moyen terme, nous devons examiner ce qui se passe dans d’autres pays qui ont fait des choix différents. Si l’effort est déployé sur plusieurs années, qu’il est constant, le regard va changer et les professionnelles auront plus d’appétence à rejoindre ces métiers. L’effort ne doit pas être ponctuel ou lié à l’actualité. Je rappelle que c’est quand même un fait divers sordide intervenu dans une crèche lyonnaise qui a déclenché toute cette prise en compte dans le secteur de la petite enfance. Auparavant, on mettait la poussière sous le tapis et bon gré mal gré, on faisait avec. Aujourd’hui, ce n’est plus possible. L’émotion génère une prise de mesures d’urgence qui ne sont pas à la hauteur des véritables enjeux, sans vision politique sur le court, le moyen et le long terme. C’est pourtant un enjeu majeur. S’occuper de la petite enfance, c’est préparer l’avenir quand on sait quels sont les effets de la qualité de l’accueil sur les enfants entre 0 et 6 ans. C’est là que tout se passe.

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