People & Baby : le modèle en question

People & Baby serait l’un des quatre grands groupes dominants le marché de la crèche privée lucrative. D’un groupe à l’autre, même croissance insolente, mêmes salarié·es en souffrance et même modèle économique. On vous explique.

Comment s’est structuré le secteur lucratif des crèches privées ?

C’est un fait, le secteur lucratif des crèches privées est en pleine expansion. Avec près de 90 000 places, elles représentent aujourd’hui 25 % de l’offre et 80 % des ouvertures de crèches.

Les premières micro-crèches voient le jour en 2003 avec l’ouverture du secteur de la petite enfance aux entreprises. En 2004, ces structures accèdent aux subventions publiques et en 2010, le décret Morano les généralise.

Au départ, ces micro-crèches ne pouvaient accueillir plus de neuf enfants, mais progressivement, ce plafond a été assoupli par la puissance publique jusqu’à un accueil de douze enfants simultanément en 2021, voire quatorze sous certaines conditions dérogatoires. Elles continueraient cependant d’être des micro-crèches. L’un des intérêts, pour ces petites structures, c’est qu’elles seraient soumises à moins de normes, notamment en matière d’encadrement, moins de surveillance et moins de contrôle. De plus, il n’est pas obligatoire d’être un·e professionnel·le de la petite enfance pour ouvrir une micro-crèche, il suffit d’embaucher un·e référent·e diplômé·e petite enfance.

 

Profits sur les petits : les coûts cachés de la rentabilité des crèches privées

Ce marché rapporte 6 % de rentabilité et en conséquence. Il attire les fonds d’investissement au capital des entreprises et fait grandir les groupes très rapidement.

En crèche privée, on fait du profit sur les enfa,ts

Faire profit sur les petits enfants, vous trouvez ça normal ?

Dans son troisième rapport sur les crèches privées, l’IGAS parle même d’un niveau de rentabilité pouvant atteindre les 40 % selon les établissements et leur situation géographique. Une rentabilité toutefois conditionnée aux largesses des finances publiques à plusieurs niveaux, notamment par l’intermédiaire de la Sécurité sociale et du crédit d’impôt famille. Il y a aussi les aides à l’installation, au fonctionnement, à l’investissement. L’IGAS alerte d’ailleurs depuis 2017 sur le « sur-calibrage des financements publics » pour le marché des crèches privées. L’objectif, pour ces entreprises, serait de s’étendre dans les territoires, capter des marchés publics par le biais de délégations de service public, racheter des enseignes et des réseaux.

La baisse des dotations aux communes conduirait ces dernières à faire le choix du privé, tandis que la mission n°1 des commerciaux serait d’ouvrir le maximum d’établissements. Ça matche !

Quand le profit écrase l’humain

La pénurie de personnel met en danger les enfants

La pénurie de personnel met en danger les enfants ©LesMotsquiManquent

 

Le secteur se structurerait ainsi en lobby agressif. La concurrence y serait acharnée et la pression se reporterait de strates en strates jusqu’aux salarié·es des crèches. Les directions d’établissements se verraient imposer des économies et de ce fait, finiraient par appliquer des quotas de couches, sous-dimensionner les repas en prévoyant systématiquement l’absence d’un ou deux enfants et surtout, avoir un taux d’encadrement très faible.

Le quotidien serait fait de changes à la chaîne, sans temps pour les enfants qui pleurent. Les salarié·es seraient essorées. Le turn-over bloquerait en partie les velléités de développement supplémentaire de ces groupes. La pénurie de professionnel·les s’expliquerait par le manque de reconnaissance, des salaires indigents et des conditions de travail très dégradées. Comme le souligne le collectif Pas de bébés à la consigne, « Ces métiers sont pénibles et en constant sous-effectif. Nous ne sommes pas là que pour changer les couches, mais nous manquons de temps et de moyens pour donner toute sa place à l’épanouissement des enfants ».

Une enquête de DGCCRF menée en 2023 sur les pratiques commerciales des micro-crèches montrait que « de nombreuses clauses présumées abusives » existaient dans les contrats passés avec les parents et que deux micro-crèches sur trois présentaient « au moins une non-conformité en matière d’informations » aux familles.

 

La pauvreté des uns fait la richesse des autres

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Christophe Durieux et Odile Broglin, co-fondateurs de People & Baby, auraient vraiment développé le low-cost de la petite enfance. Ils figureraient d’ailleurs dans le classement des plus grandes fortunes de France de Challenges, avec près de 200 millions d’euros d’actifs. En faisant baisser les coûts, le marché s’est totalement effondré et ils auraient pu dès lors passer des contrats avec les communes et les collectivités. Sauf qu’afin d’endiguer la pénurie de professionnel·les, le privé lucratif doit redorer son image et se montrer attractif. Sur le volet des rémunérations, les entreprises estimeraient que l’État doit les aider à faire évoluer les grilles et les salaires alors que leur modèle économique est déjà totalement dépendant de l’argent public et que ce ne serait pas à l’État de se substituer aux prérogatives d’entreprises privées réalisant des marges et des bénéfices en matière de rémunération. Sur l’amélioration des conditions de travail, ce serait le même principe.

Un bras de fer nécessaire

Casse des crèches privées ?

©LesMotsquiManquent

La convention collective des crèches privées, rattachée à celle des services à la personne, est l’une des moins protectrices. Et la négociation de branche qui vient de s’achever n’apporte aucune amélioration.

Comme le relève Stéphane Fustec, conseiller de la fédération CGT Commerce et Services, des critères classifiants très techniques ont été ajoutés, mais en face, pas d’augmentation pour les salarié·es : « Leur seule volonté est de capter davantage d’aides publiques, mais les entreprises refusent que cela leur coûte le moindre centime. La CGT ne va pas signer et considère que c’est l’ensemble de ce modèle économique qu’il faut remettre en question ».

La grande étude de l’Ires, réalisée à la demande de la CGT, a d’ailleurs démontré, chiffres à l’appui, à quel point le secteur privé lucratif coûtait cher aux finances publiques.

Dès 2016, une étude de la CNAF montrait déjà que le coût de fonctionnement des crèches associatives était de 20 % inférieur à celui du privé lucratif.

La semaine prochaine, nous révélerons la face cachée de la Success Story de People & Baby… à suivre donc.

À lire, pour aller plus loin

Le prix du berceau, ce que la privatisation des crèches fait aux enfants de Daphné Gastaldi et Mathieu Périsse (éditions du Seuil)

Les auteurs ont recueilli des centaines de témoignages de salarié·es, auxiliaires de puériculture ou directrices de crèches, de cadres de grands groupes, de parents pour raconter « un secteur bouleversé par vingt ans de marchandisation de la petite enfance ».

Le désengagement des pouvoirs publics sur fond de besoins de places d’accueil de jeunes enfants a conduit le privé à s’engouffrer dans la brèche pour y gagner des parts de marché et réaliser de confortables marges. Les crèches constituent aujourd’hui une industrie d’1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires, adossée à des fonds d’investissement, mais qui profite largement de financements publics. La réalité quotidienne dans ces structures est celle de salarié·es et d’enfants faisant les frais de cette course à la rentabilité selon laquelle « on optimise plutôt que d’accueillir ».

 

Babyzness - crèches privées : l’enquête inédite de Bérangère Lepetit et Elsa Marnette (éditions Robert Laffont)

Une fois l’enfant déposé, que se passe-t-il dans les crèches privées ? Là encore, ce sont quelque deux cents témoignages recueillis auprès d’acteur·rices de la petite enfance qui ont permis aux autrices de réaliser une grande enquête sur les failles et les dérives d’un secteur devenu un business fructueux subventionné par l’argent public. Elles s’interrogent sur le quotidien des professionnel·les qui y travaillent, mais aussi sur le bien-être et la sécurité des enfants. Maltraitance, plaintes, personnel en détresse, défiance des parents… bon nombre d’aspects sont passés au crible. Cette enquête fait la part belle aux pratiques de People & Baby.

Pour savoir ce qu’est le décret Morano : https://basta.media/Le-decret-Morano

Lire le rapport de l’Igas sur la « Qualité de l’accueil et prévention de la maltraitance dans les crèches » https://igas.gouv.fr/IMG/pdf/2022-062r_tome_1.pdf

Lire l’étude de l’Ires sur les métiers du soin et du lien aux autres

https://ires.fr/actualites/etudes-des-organisations-syndicales-investir-dans-le-secteur-du-soin-et-du-lien-aux-autres/

 

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