Les violences sexistes dans le secteur du service à la personne : un problème de santé publique
Les violences sexistes et sexuelles (VSS) au travail se font massives et systémiques. En effet, elles représentent un réel problème de santé publique. Pour autant, elles ne sont pas une fatalité selon Raphaëlle Manière, cheminote, membre de la commission femmes-mixité de la CGT et pilote de la cellule de veille contre les violences sexistes et sexuelles dans la CGT.
Qu'entend-on par violences sexistes et sexuelles au travail ?
Les violences sexistes et sexuelles au travail couvrent un large éventail, allant du harcèlement moral à caractère sexiste, des agissements sexistes, du harcèlement sexuel aux agressions sexuelles et au viol. Cela inclut aussi les outrages, les violences verbales et les tentatives d’agressions physiques à caractère sexiste. La particularité de ces violences est qu’elles sont systémiques et massives au travail, ce qui en fait un enjeu syndical fort pour la CGT. Tant qu’elles persisteront, l’égalité réelle entre les femmes et les hommes ne sera pas possible au travail.
Comment peut-on les caractériser et les qualifier ?
Les caractériser est l’une des principales difficultés que nous rencontrons. Pour nous y aider, nous pouvons nous appuyer sur les définitions du Code pénal et du Code du travail. La loi Rebsamen de 2016, par exemple, définit les agissements sexistes et le harcèlement sexuel au travail. C’est important de qualifier et de conscientiser ce qui se passe pour soi et pour les autres, afin de pouvoir agir et dénoncer les agresseurs. Cela permet aussi à l'employeur de prendre ses responsabilités et de sanctionner les comportements inappropriés. Les VSS se manifestent de diverses manières, du harcèlement moral à caractère sexiste, aux agressions sexuelles et au viol. Cela peut être des remarques sexistes, des attouchements, des agressions verbales ou physiques.
L'important est de les reconnaître et de les nommer pour ce qu'elles sont, de les visibiliser afin de pouvoir y répondre de manière appropriée. Les chiffres en la matière sont effarants et massifs. Pourtant, 70 % des victimes ne parlent pas mais ils commencent à dater un peu. La puissance publique pourrait commencer à lancer des études sur les corps de métier exposés et fragilisés.
Quelles sont les particularités dans le secteur des services à la personne ?
Le secteur des services à la personne est complexe car les professionnelles sont souvent isolées, travaillant au domicile de particuliers. Le fait que les services à la personne constituent un secteur en tension conduit en outre les employeurs à jouer sur la précarité et la vulnérabilité de ces salariées qui peuvent avoir du mal à faire valoir leurs droits. C’est pourquoi nous demandons l’élargissement du champ d’intervention des conseiller·es du salarié pour accompagner les victimes, même face à des particuliers employeurs. Il est également important de mettre en place des mesures de protection et de soutien pour ces travailleuses. En fait, ce secteur est symptomatique de l’abandon de l’État. Seule solution pour les victimes, se rapprocher d’un syndicat pour les aider à conscientiser ce qui s’est passé, à verbaliser les faits et à les protéger, rompre le contrat et les accompagner.
Je déplore que ces femmes subissent une double peine consistant à subir des violences et la perte d’un contrat de travail. Il y a donc une urgence à créer des droits nouveaux, davantage de protection et de sécurité.
Est-ce que vous avez des exemples de la manière dont ces situations sont traitées ?
Oui, malheureusement, il y a souvent une grande légèreté, voire du mépris dans le traitement de ces situations. Par exemple, dans les entreprises de services à la personne, quand une professionnelle fait remonter un cas de violence, on peut lui dire que ce n'est pas grave et simplement la remplacer par une autre salariée. Cela ne résout pas le problème de fond et peut même le perpétuer. Je rappelle que l’employeur a l’obligation d’organiser la protection de ses salariées. L’argument selon lequel les auteurs de VSS n’auraient plus toute leur tête, qu’ils seraient âgés et vulnérables ne tient pas. La grande majorité des VSS sont perpétrées en toute conscience. En somme, il faut rendre visible les violences et s'assurer que les employeurs respectent leurs obligations de prévention, de sécurité et de sanction. Cela nécessite souvent de nouvelles protections dans le Code du travail.
Les syndicats ont donc un rôle essentiel pour soutenir les victimes, mais il faut aussi des actions plus fermes et systématiques de la part des employeurs et des autorités.
Est-ce que les préjugés sexistes jouent un rôle dans ces violences ?
Oui, les stéréotypes sexistes et patriarcaux sont à la base de ces violences. Les corps des femmes sont souvent perçus comme disponibles pour être touchés ou commentés, validés ou invalidés, ce qui reflète une culture patriarcale profondément enracinée. Cela vaut au travail, dans la rue, dans la sphère familiale… On touche là au respect du corps de chacune. La CGT vise à changer cette culture en éradiquant les violences au travail, ce qui pourrait avoir un effet transformateur sur la société dans son ensemble, un changement des rapports sociaux de sexe et de classe. Car aux préjugés sexistes s’ajoutent des préjugés de race et de classe, donc de vulnérabilité économique avec par exemple des temps partiels subis par des femmes qui sont souvent des mères isolées et précaires.
Comment se fait-il que les employeurs ne jouent pas leur rôle ?
Globalement, en effet, ça dysfonctionne et nous constatons que les employeurs ne sont pas très bons en matière de prévention, protection et sanction des VSS et qu’ils ne prennent pas assez leurs responsabilités. L’arsenal juridique est certes perfectible, mais il existe, donc soit ils ne savent pas faire, soit ils ne veulent pas agir. C’est un peu comme avec l’égalité salariale, il existe des lois qui ne sont pas respectées. Je considère qu’on se trouve dans le champ du patriarcat, qu’on vient le bousculer dans son fondement et dans le cas des VSS, dans sa forme la plus violente.
Depuis #MeToo en 2017, le seuil de tolérance sociale aux violences et aux inégalités genrées est moindre. Les jeunes générations ne supportent plus ce que nous avons supporté ou ce que d’autres supportent encore. Nous tenons compte de cela dans notre action syndicale pour faire valoir nos revendications, changer le monde du travail pour en faire des lieux de ressources anti-sexistes et sécurisants. Dans l’idéal, toute victime de VSS, au travail ou conjugales, devrait pouvoir venir y chercher de l’information, du temps, de la respiration, avec des dispositifs qui l’aideraient à se protéger, quitter son agresseur, rétablir un environnement familial serein… Actuellement, les employeurs ont plutôt tendance à ne pas s’occuper des victimes, à mettre les problèmes sous le tapis sans restaurer des collectifs de travail sur des bases plus saines.
Y a-t-il eu des évolutions ces dernières années ?
Oui, comme je le disais, #MeToo a marqué un tournant. Il existe cependant un double mouvement, assez paradoxal, avec une visibilisation de la parole des femmes mais une minoration de cette parole de la part du gouvernement. Secteur après secteur, des #MetToo voient le jour dans le cinéma, le sport, les syndicats… mais rien contre les VSS au travail, c’est un angle mort. Certes, il y a eu la mise en place obligatoire des référents harcèlement en 2018, d’abord dans le privé, puis dans le public, ce qui a contraint à former des salarié·es et des représentant·es du personnel sur ces enjeux. De fait, un débat s’est développé dans les lieux de travail. Malheureusement, il n’y a toujours pas de plan de prévention dans 80 % des lieux de travail, la loi n’y est pas appliquée.
Je rappelle qu’en l’absence de plans de prévention, lorsqu’une action aux prud’hommes a lieu, l’entreprise est doublement sanctionnée. Je constate aussi qu’il y a des négociations intéressantes dans des entreprises sur des accords égalité professionnelle qui incluent un volet VSS permettant de gagner de nouveaux droits tels que des jours de congés supplémentaires pour les victimes ou la mise en place de protocoles de signalements internes. Donc, oui, certaines choses évoluent, mais davantage du fait de l’impulsion des syndicats et des employeurs que de la volonté politique de l’État. Nous avons un grand chantier devant nous.
Quelles sont les revendications portées par la CGT en la matière ?
Il faut sanctionner les employeurs qui ne respectent pas leurs obligations légales et il est crucial de renforcer les droits et les protections des salariées, notamment celles qui sont isolées ou précaires. Il faut aussi sensibiliser et former tous les acteurs du monde du travail pour qu’ils reconnaissent et agissent contre les violences sexistes et sexuelles avec tous les moyens nécessaires. Le soutien des syndicats est indispensable, mais il faut également des actions plus globales pour changer la culture et les pratiques au travail.
La CGT réclame donc la tenue d’une table ronde multilatérale pour faire le bilan des mesures de 2018. Il faut que l'État mette tout le monde autour de la table, les organisations syndicales et le patronat, afin d’évaluer les dispositifs à l’œuvre et en négocier de nouveaux. La CGT demande aussi la création d'un baromètre annuel pour évaluer les VSS au travail, justement pour avoir une visibilité, et le Haut conseil à l'égalité pourrait s'en occuper. Tout ceci aiderait à sortir de l'angle mort dans lequel nous nous trouvons avec ces formes graves de violences au travail lequel a, bien sûr, une dimension centrale dans notre combat féministe. Pour la CGT, les VSS relèvent d’un phénomène social et d’un problème de santé publique, il est donc possible de lutter contre et d’agir par de multiples dispositifs. Il n'y a pas de fatalité à ce que les VSS perdurent.
Il est donc essentiel de reconnaître ces violences, de les nommer et de prendre des mesures concrètes pour y mettre fin. La CGT s'engage activement dans cette lutte, revendiquant de nouveaux droits et des protections accrues pour les salarié·es, en particulier les plus vulnérables.
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Retrouvez cet article dans notre sapInfos de juillet-aout 2024. D'autres journaux Sap Infos sont disponibles en ligne.
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