SMIC insuffisant en France : pourquoi il ne protège plus les salarié·es

Le SMIC à l’index : un salaire minimum qui ne protège plus

Jamais autant de travailleur·ses n’ont été payé·es au SMIC, pourtant insuffisant pour vivre.
Thomas Vacheron, secrétaire confédéral de la CGT, explique pourquoi le niveau du SMIC français ne permet pas de vivre correctement de son travail.
Propos recueillis par Chrystel Jaubert
Le rôle du SMIC : outil contre l’inflation et socle légal
Le SMIC, salaire minimum interprofessionnel de croissance, a deux objectifs : maintenir le niveau de vie des travailleur·ses face à l’inflation et garantir que celui-ci progresse en même temps que le développement économique du pays. Le SMIC étant indexé sur l’inflation, cela permet d'éviter une distorsion entre l'évolution du salaire minimum et celle de la moyenne des autres salaires. Il est garanti par la loi. Cela signifie qu'en France, aucun employeur n'a le droit de payer un·e salarié·e en dessous, sous peine de sanctions.
En France, le SMIC évolue à trois occasions : automatiquement au 1er janvier de chaque année en fonction de l'évolution des prix à la consommation et du salaire horaire moyen des ouvrier·es et employé·s, en cours d'année si l'inflation dépasse 2% (la CGT défend une revalorisation dès que l'inflation est supérieure à 1%) et exceptionnellement par « coup de pouce » gouvernemental. Le dernier « coup de pouce » a plutôt été une avance qu’une revalorisation. Le Premier ministre Michel Barnier a juste avancé au 1er novembre l’augmentation automatique du SMIC prévue automatiquement au 1er janvier, parce que nous avions mis la pression sur la question des bas salaires y compris par une journée de mobilisation. Il n'y avait pas eu d'autre « coup de pouce » depuis 2012. C'est devenu très rare, alors que le gouvernement a la possibilité de revaloriser réellement le SMIC pour que les salarié·es puissent vivre de leur travail.

Pourquoi le SMIC ne suffit plus pour vivre dignement
Une revalorisation insuffisante malgré l’inflation
Pas suffisamment. C'est justement pourquoi nous demandons une revalorisation urgente du SMIC à 2 000 euros bruts (soit 1600 euros net mensuels environ) contre 1800 euros bruts actuellement (soit 1426 euros nets actuellement), de sorte à ce que les salarié·es, sans qualification, puissent a minima vivre de leur travail et ne pas survivre. Aujourd'hui, avec le prix des loyers, des transports et autres dépenses essentielles, le SMIC est insuffisant pour vivre correctement. Or contrairement à ce que l’on entend souvent, le SMIC français n’est pas si élevé.
La France est la deuxième économie de l'Union européenne, mais son SMIC n’arrive qu’en sixième position. Et je rappelle qu’il concerne près de 3 millions de salarié·es du secteur privé, hors agriculture et fonction publique. Autre conséquence, c'est le tassement de tous les salaires. De plus en plus de salarié·es sont payé·es au SMIC qui, heureusement, est indexé sur les prix. Quand les prix augmentent, le SMIC augmente d'autant, mais ce n'est pas le cas de tous les salaires.
Des conventions collectives en dessous du SMIC : un scandale légal
Des minima inférieurs dans 67 branches
C’est un scandale. Actuellement, 67 branches professionnelles représentant quelque 3 millions de salarié·es ont au moins l'un de leurs coefficients inférieurs au SMIC. Cela ne concerne donc pas l’ensemble des salarié·es de ces branches. En l'occurrence, il y a au moins un des coefficients qui est en dessous. Pourtant en France, les employeurs ne peuvent légalement payer en dessous d’un SMIC déjà insuffisant.
Femmes en première ligne
60% des salarié·es payé·es au SMIC sont des femmes. Plus les emplois sont féminisés, plus les salarié·es sont mal payé·es. Dans ces branches-là, un ou deux niveaux se retrouvent donc inférieurs au SMIC bien que les salarié·es aient le SMIC comme minimum sur leur fiche de paye. Cela produit des effets de tassement. Quand une branche professionnelle est en dessous du SMIC, par exemple dans les blanchisseries industrielles, dans l'agriculture ou dans le commerce, le temps que les négociateur·rices s’efforcent de régulariser toutes les branches, c'est-à-dire au niveau du SMIC, constitue autant de temps perdu, sans négociation sur la revalorisation des autres salaires ou sur l’amélioration des conditions de travail. En d’autres termes, c’est l’absence de progrès social ou d'amélioration concrète des conditions de vie et de travail.
Aucune sanction pour les branches hors-la-loi
C'est scandaleux et la CGT considère que les entreprises bénéficiant d'aides publiques doivent respecter les règles de la République. Nous avons interpelé la ministre plusieurs fois. Je l'ai refait encore récemment, en disant qu’il n'est pas acceptable que dans ce pays qu'est la France, où il y a des aides publiques gigantesques aux entreprises privées, celles-ci se permettent de ne pas respecter les règles de la République. Il faut supprimer immédiatement toutes les aides publiques pour les branches dont un coefficient est inférieur au SMIC. Cela permettrait qu’elles se mettent immédiatement en conformité. Je pense qu’il y aurait là une véritable accélération. C'est très important, parce qu’au-delà de la question symbolique, il y a des conséquences pratiques. Partout où il y a un niveau inférieur au SMIC, les salaires se tassent. Pendant qu'on s'occupe de ça, on ne s'occupe pas du reste.

Temps partiel subi : double peine pour les femmes
Temps partiel = précarité durable
Comme je l'ai dit précédemment, près de 60% des salarié·es qui sont payé·es au SMIC sont des femmes qui occupent des emplois féminisés et mal payés. Celles qui sont en dessous du SMIC mensuel travaillent à temps partiel, elles le subissent.
Mieux comprendre le temps partiel et ses limites.
D’ailleurs, 80% des temps partiels sont occupés par des femmes. D'un côté, elles subissent les emplois à temps partiel et de l'autre, elles subissent les emplois les moins bien rémunérés. Donc, c'est une double peine permanente qui fait que pendant toute leur carrière professionnelle, ces femmes n'arrivent pas à vivre de leur travail. Elles y arrivent d’autant moins que les emplois féminisés n’offrent pas de perspectives d’évolution de carrière. Un mauvais salaire tout au long de sa carrière, c’est une mauvaise retraite, puisque la retraite résulte des cotisations liées au salaire pendant toute sa carrière. Ces femmes se retrouvent avec des pensions jusqu'à 36% inférieures à celles des hommes. La boucle est bouclée en termes de scandale social.
Des secteurs entiers profitent de la pauvreté au travail
Qui dit temps partiel dit salaire partiel et retraite partielle, risque accru de précarité et de pauvreté, horaires fragmentés et variables, conditions de travail précaires… Plusieurs branches y ont recours massivement. Ce sont des femmes et des immigré·es qui occupent majoritairement ces emplois peu qualifiés. Des emplois dans la propreté, l’aide à domicile, les services à la personne, la grande distribution, l’hôtellerie-restauration… Des secteurs entiers de l’économie tirent finalement leurs profits du fait de salaires structurellement incomplets que la collectivité vient compenser via des aides sociales apportant un complément vital. Lequel ne permet pas toujours à un certain nombre de personnes, des femmes en particulier, de sortir de la pauvreté au travail, notamment celles qui sont à la tête d’une famille monoparentale.
Pour une réforme du temps partiel imposé
Dans ces conditions, que faire ? Imposer le respect d’une durée de travail minimale par semaine (aujourd’hui la loi prévoit une durée minimale de 24 heures mais il existe de trop nombreuses possibilités de dérogation), et limiter plus généralement le temps partiel, quasi toujours imposé à la grande majorité des personnes à temps partiel en France, avec des effets délétères en matière de conditions et de qualité de vie et en termes d’inégalités de genre. Dans ce contexte, il faut donc à la fois limiter le temps partiel de façon générale -et singulièrement le temps partiel imposé- mais également limiter les effets du temps partiel qui ne peut être évité.

Pourquoi le SMIC ne règle pas le problème des bas salaires
Un indicateur de référence inadéquat
En fait, le SMIC est le dernier élément de régulation sur les salaires puisque c'est le seul qui est indexé sur les prix. Depuis 1983, il n'y a plus d'indexation des salaires sur les prix. Jusqu'alors, quand les prix augmentaient, les salaires augmentaient d'autant. Ce n'est plus le cas et cela génère donc un tassement des salaires. De plus, l'indexation du SMIC sur les prix se fait à partir de l'indice des prix à la consommation (IPC). Or la CGT dit et prouve que l’IPC français n'est pas le même que l'européen. En Europe, on utilise l'indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH) qui prend en compte plus d'éléments, notamment le coût du loyer par exemple. Ce n'est pas le vrai coût de la vie qui est calculé par l'indice des prix.
Résultat : un SMIC sous-évalué
L’indice choisi pour revaloriser le SMIC ne reflète pas le vrai coût de la vie tel que le vivent les travailleuses et les travailleurs au quotidien. Comme le SMIC n'est calculé que sur l’IPC, que cet IPC est sous-estimé, ça induit mécaniquement un SMIC faible, pas assez protecteur, ni assez revalorisé.
Les revendications de la CGT pour un SMIC juste
Indexation à partir de 1% d’inflation
Comme je l’ai déjà abordé, nous voulons l'indexation automatique du SMIC dès que l'inflation est de 1%, sa revalorisation à 2 000 euros bruts, la prise en compte de l'IPCH et non de l'IPC pour l’inflation, ainsi que l'indexation de tous les salaires sur les prix. Quand les prix augmentent, tous les salaires doivent augmenter d'autant. Voilà nos revendications générales. Nous demandons l'augmentation d’un SMIC, insuffisant aujourd'hui. Nous demandons donc également l’augmentation de tous les salaires pour éviter les effets de tassement.
Revalorisation à 2000 euros bruts
Il s’agit donc d'indexer tous les salaires sur les prix, comme c'est le cas pour le SMIC, afin de garder « l'échelle mobile des salaires ». Des négociations salariales doivent s’ouvrir dans l’ensemble des branches professionnelles. Cela éviterait les situations de décalage et pour créer une dynamique salariale.
Remettre en cause les exonérations injustes pour les employeurs
Je souhaite ajouter qu’il existe un autre scandale. Plus les salaires sont bas, plus les gens sont mal payés, plus les aides publiques aux entreprises privées sont élevées, car plus les salaires sont proches du SMIC et plus les exonérations de cotisations sont importantes. Les exonérations de cotisations incitent les employeurs à mal payer leurs salarié·es pour en tirer le plus d’avantages possible. Il n'y a quasiment pas de cotisation sociale dite « patronale » au niveau du SMIC. Le résultat, c’est que le budget de l’État s’en trouve amoindri d’autant. Cela entretient un SMIC insuffisant et un modèle économique basé sur la précarité.
Plutôt que de servir à construire des crèches, des écoles, des hôpitaux ou autre, cet argent va à l’employeur sous forme d’exonération de cotisations. Et c'est l’un des éléments qui fait que l'État est très endetté. Je ne vais pas entrer dans les détails des chiffres, mais globalement, il y a eu 1 000 milliards d'euros de dettes en plus depuis qu’Emmanuel Macron. Deux raisons à cela : des cadeaux aux patrons et des cadeaux aux plus fortunés. Voilà la conséquence première du manque de recettes pour le budget de l'État.