1. Travail à domicile : temps de travail, des règles qui évoluent peu

Ce premier article d’une série de quatre interroge la construction du temps de travail dans les métiers du domicile. Camille Giardina (doctorante en droit social à l’Université de Montpellier), Julie Valentin (maîtresse de conférences en économie à l’Université Paris 1 – Sorbonne) et Stéphane Fustec (conseiller de la fédération CGT Commerce et Services) reviennent sur l’évolution du cadre légal depuis les années 70 et sur les spécificités de l’organisation du travail dans un secteur où les salarié·es restent souvent exclu·es des droits communs.
Une flexibilisation historique du temps de travail
Un cadre légal en faveur des employeurs
Comment voyez-vous l'évolution du temps de travail ces dernières décennies ?
Camille Giardina - Depuis les années 70 à 80, le législateur a cherché à promouvoir la flexibilisation du temps de travail pour permettre aux entreprises de s'ajuster selon leurs besoins. Ainsi, de nombreuses techniques ont été entérinées par la loi, notamment celle du forfait jour. Plus récemment, les ordonnances Macron de 2017 ont participé à consacrer l’idée selon laquelle la détermination de la durée du travail et son organisation se règlent plutôt par la négociation d'entreprise.
Dans le secteur des salarié·es du particulier employeur, la convergence des branches a permis des évolutions sur des points précis. Par exemple, les assmats bénéficient d'un taux de majoration fixé à 10% au-delà de la durée hebdomadaire conventionnelle de 45 heures alors qu'auparavant, c'était librement fixé par les parties, tandis que les heures de garde malade de nuit pour les aides à domicile sont désormais considérées comme du temps de travail effectif, c'est une avancée. Mais globalement, l'esprit de la norme conventionnelle en matière de durée du travail est inchangé. On reste dans une optique de singularisme. Concernant les entreprises du secteur des services à la personne, la négociation collective est plus classique. Les accords organisent la durée du travail. Le plus récent concerne le travail de nuit et les heures d'équivalence de présence de nuit.
Des temps de travail qui s’allongent… ou s’effilochent

Polarisation des durées : entre cadres et emplois féminisés
Julie Valentin - On constate une forme de polarisation entre les salarié·es. Le temps de travail des cadres tend à s’allonger. À l’inverse, celui des ouvrier·es et employé·es se réduit, en particulier pour les femmes. Dans le champ qui nous intéresse, depuis la fin des années 80, on constate aussi cette forme de polarisation. Les assmats agréées ont un temps de travail qui s'allonge. Quant à celui des aides à domicile, il commence un petit peu à se rallonger. Mais près de 90% des aides à domicile et des employé·es de maison sont à temps partiel.
Pour les assmats, cet allongement s'explique par le fait qu'elles vont garder plus d'enfants, les temps se cumulant entre les différentes familles, mais également du fait de la réduction des effectifs. La demande de garde, elle, reste importante. Pour les aides à domicile, ce petit allongement du temps de travail est sans doute aussi à mettre sur le compte de cette tension de l'emploi. Cependant, les durées de travail restent faibles, avec 25 heures hebdomadaires en moyenne.
Des horaires fragmentés et un encadrement insuffisant
Une organisation pensée contre la soutenabilité
Stéphane Fustec - Le temps de travail a historiquement été un vecteur de progrès. Depuis les 35 heures, nous assistons à la revanche du patronat avec, dans les années 90-2000, l’assouplissement des règles sur la modulation du temps de travail et les accords dérogatoires. Aujourd'hui, le temps de travail est l'objet avec lequel on peut jouer et le patronat se régale. Dans les entreprises de service à la personne, le problème central, c'est bien le temps, ou plutôt les temps, d’intervention, de déplacement, d’attente…
Pour les assmats, le temps de travail est hors normes, parce que personne n'est capable de prendre position sur le mode de calcul de la durée maximale de leur travail. Est-ce sur l'amplitude journalière, ce qui me semble être raisonnable ? Est-ce par contrat, ce qui ouvre la porte aux 70 heures par semaine ? Même s'il y a eu quelques progrès dans la nouvelle convention collective, les salarié·es du secteur ne sont toujours pas concerné·es par certaines règles européennes notamment, sur le temps de travail ou le temps partiel.
Quelles sont les caractéristiques du temps de travail dans les métiers du domicile ?
JV - Le temps de travail d'une aide à domicile, 25 heures en moyenne, ne peut pas être augmenté. La pénibilité est si forte que ce ne serait pas soutenable. Cette situation est dû au fait que tous les temps périphériques ne sont pas pris en compte et que tous les temps qui rendent l'emploi soutenable, les pauses, la récupération, le temps de repas, ne sont pas comptés comme du temps de travail contrairement aux cadres. Des temps collectifs, d'échange pourtant nécessaire sur des moments vécus émotionnellement compliqués, rendraient aussi le travail plus soutenable. Cela ne serait pas plus pris en compte. Finalement, les aides à domicile elles-mêmes construisent leur temps de travail. Elles ne pourraient pas physiquement travailler 35 heures. C'est dû au fait de la pénibilité de leur métier et de tous ces temps non comptés.
C’est tout le problème de ne pas avoir un vrai employeur. Un employeur qui organise le travail et construit une relation d'emploi digne et décente. Certaines entreprises de services à la personne découpent l’activité entre ménage, aide à la toilette, soutien administratif… et spécialisent les interventions en essayant de les rémunérer chacune à leur plus bas prix. C’est aussi un facteur de fragmentation du temps de travail. Les particuliers employeurs ne fonctionnent pas comme ça. Ils préfèrent une relation longue avec une personne qui ne change pas sans arrêt. Toutefois ils ne sont pas employeurs donc ne construisent pas une relation de travail bien organisée pour leur salarié·e.

Un droit du travail affaibli pour les salarié·es du domicile
Temps non comptés, seuils déplacés et autonomie fictive
CG - Au plan juridique, les salarié·es du particulier employeur ne sont pas soumis aux dispositions du Code du travail sur la durée du travail. On qualifie leur temps de travail effectif différemment et de façon moins protectrice. À cela s'ajoutent trois temps singuliers : le temps de garde malade de nuit, le temps d'heure de présence responsable et le temps d'heure de présence de nuit qui, en fait, ne bénéficient pas de la qualification pleine et entière du temps de travail effectif. De plus, il y a des lacunes dans la limitation de la durée effective du travail. Pas de temps de pause toutes les 6 heures quand on est assmat ou aide à domicile, ce n'est pas prévu par la convention collective.
Enfin, la durée hebdomadaire de travail fixée conventionnellement est bien supérieure à 35 heures (45 heures pour les assmats et 40 heures pour les autres salarié·es), ce qui entraîne un déplacement du seuil de déclenchement des heures supplémentaires. On part ainsi avec un droit du travail affaibli pour les salarié·es du domicile. Concernant les entreprises de services à la personne, le Code du travail est applicable. Théoriquement, elles doivent permettre à leurs salarié·es un temps de pause tous les 6 heures et une durée minimale de travail de 24 heures, même si effectivement, les temps périphériques ne sont pas considérés comme du temps de travail effectif.
Temps de transport non payé : le grand angle mort de l’organisation
SF - Leur convention collective a inventé la notion d'autonomie retrouvée, c'est-à-dire qu'entre deux missions, si le temps d'attente est supérieur à 15 minutes, le ou la salarié·e retrouve par magie son autonomie et on ne paie pas son temps de transport. Les employeurs font donc des plannings gruyères en espaçant systématiquement les missions de plus de 15 minutes pour ne pas avoir à payer de temps de transport.
Le paiement du temps de transport en tant que temps de travail entre deux interventions est quasiment inexistante dans le privé lucratif, même si certaines structures font des petits efforts. Bien sûr, nous en discutons au niveau de la branche. La CPME serait prête à aller de l'avant, mais le Medef freine des cas de fer. Tabou, c'est un peu le serpent de mer dans le secteur lucratif. On sent bien que ces temps périphériques constituent le nerf de la guerre et impliqueraient de mieux coordonner et organiser les temps de travail. Chez les particuliers employeurs, c'est différent parce que le lien de subordination n'est pas le même. Il y a des exceptions, mais quand on négocie, on négocie vraiment son contrat de travail. C'est pour ça que les salaires réels sont bien supérieurs aux minima conventionnels.
Pour mesurer l'impact du travail sur notre vie, ne manquez pas de lire notre deuxième article 2. Travail à domicile : temps partiel, précarité et effets sur la santé