Ce deuxième article d’une série de quatre s’intéresse aux effets du temps de travail et des horaires éclatés sur les conditions de vie et de santé des salarié·es du domicile.

(En quoi le temps de travail est-il un enjeu politique et syndical ? Pour le savoir, lisez notre article Travail à domicile : temps de travail, des règles qui évoluent peu)

Camille Giardina (doctorante en droit social à l’Université de Montpellier), Julie Valentin (maîtresse de conférences en économie à l’Université Paris 1 – Sorbonne) et Stéphane Fustec (conseiller de la fédération CGT Commerce et Services) analysent les conséquences de cette organisation du travail, en particulier pour les femmes, majoritaires dans ces métiers.

Un temps partiel rarement choisi, souvent subi

Quelles sont les conséquences du temps partiel pour les salarié·es ?

Julie Valentin - Difficile de dire que c'est du temps de travail choisi. Une assistante de vie commence souvent à 7 heures ou plus tôt et finit à 19 heures ou plus tard. Cette emprise dans sa journée génère des trous. Dans cette énorme amplitude de travail, il n’y a parfois que 5 ou 6 heures rémunérées. Ses temps de travail sont pourtant nécessaires à la conciliation avec la vie familiale. Dans les statistiques, les aides à domicile estiment avoir choisi ce temps partiel. Il est en effet inconcevable pour elles d’assurer davantage de prestations avec ces temps de déplacement, ces temps de préparation, ces temps psychiques, de mise en lien, autant de bémols à la réalisation d'un travail qui a du sens, où elles se sentent à l'aise et pas maltraitantes.

Par ailleurs, ce temps partiel n’est pas neutre parce qu'il implique des salaires mensuels très faibles. Pour autant, il y a une intervention publique assez forte pour compléter le salaire avec la prime d'activité, l'allocation logement, les allocations familiales. Ceci constitue des démarches administratives, des connexions internet, des possibilités d’erreurs avec sanctions à la clé et donc une fragilisation, un accroissement de la précarité et une démultiplication de l'instabilité des revenus. Avec les allocations sociales, les salarié·es disposent ainsi d’un revenu, pas d’un salaire, un peu plus décent. Sauf que c’est un revenu en kit qui nécessite beaucoup de démarches. La part issue du travail n'est pas si importante. Dans le même temps, l’État consacre d'autres sommes pour amener l'entreprise à construire ces temps partiels qu’il doit ensuite venir compléter. Donc il y a un vrai enjeu à réfléchir à la façon dont on construit un revenu du travail décent.

Camille Giardina ©Chrystel Jaubert

Un modèle de revenu instable et fragmenté

Aides sociales, démarches administratives et précarité

Camille Giardina - Je suis tout à fait d'accord, la rémunération est considérablement appauvrie parce que les salarié·es doivent cumuler les prestations pour atteindre un salaire décent, surtout les salarié·es de particuliers employeurs qui n'ont pas de durée minimale de travail de 24 heures. À plus long terme, cette rémunération amoindrie va entraîner des difficultés. L'impact se fera surtout sentir en matière de cotisations à la retraite et de validation du nombre de trimestres suffisant. Les conséquences de ces temps de travail concernent aussi la santé et la sécurité. On constate une majoration importante des risques physiques et psychosociaux chez ces salarié·es qui ont des journées très longues et perturbant la vie familiale, avec une charge de travail imprévisible et un morcellement du temps de travail entre plusieurs domiciles qui entraînent des accidents plus fréquents, notamment de la circulation. Il y a vraiment des effets délétères sur la santé des salarié·es et une majoration de la fatigue générale dans ce secteur-là.

Une prévention médicale et des droits à la formation difficiles à faire valoir

Au-delà de ces risques, la multiplication des employeurs ou la multiplication des lieux de travail, que ce soit dans le secteur des entreprises de services à la personne ou dans le secteur des salarié·es du particulier employeur, forme un obstacle à une véritable politique de prévention des risques professionnels et de suivi médical alors que paradoxalement, ce sont ces salarié·es-là qui en auraient le plus besoin. La branche a trouvé des solutions en créant un service de médecine du travail mutualisé depuis le 1er janvier dernier. Un bon début. Enfin, la reconnaissance et l'attractivité de ce secteur dépend aussi d'une meilleure professionnalisation des salarié·es, sauf que les employeurs multiples, le morcellement du temps de travail et l’absence de durée minimale de travail entraînent des difficultés pour faire valoir les droits à la formation continue. Faire valoir ses droits à la formation continue est peut-être plus facile pour les salarié·es des entreprises de services à la personne.

Julie Valentin - Sauf qu'il y a des obstacles probablement liés au mode de financement. Les parents sont extrêmement favorables à ce que leur assmat soit titulaire d’un CAP petite enfance, mais pas forcément sur l’argent à débourser à cet effet. Même chose pour les aides à domicile, les conseils départementaux ne savent pas où trouver l’argent nécessaire. C'est tout le mode très particulier de financement avec cette mise en solvabilisation par les conseils départementaux, par l'État ou par les collectivités qui empêchent la création de reconnaissances ou de leviers pour un salaire plus élevé, par des qualifications reconnues.

Julie Valentin ©Chrystel Jaubert

Une santé mise en danger par l’organisation du travail

Ces contraintes temporelles ont-elles d’autres implications, notamment en termes de santé ?

Julie Valentin - La sinistralité des aides à domicile est très élevée et personne ne la prend en compte. La sinistralité et les accidents du travail ne sont pas du tout pensés de la même façon selon qu’il s'agit de professions de femmes ou d’hommes. Je le vois avec mes étudiant·es qui, sur ces questions, considèrent tout le champ ouvrier masculin, mais pas celui de l’emploi à domicile. Dans le bâtiment, le corps est usé en 10 ans, mais dans l’aide à domicile, c'est 2 ans.

Stéphane Fustec – Oui, ça va très vite. On le constate dans nos face-à-face. On reçoit les salarié·es avec la moyenne d'âge du secteur, c'est-à-dire 49-50 ans, dont beaucoup en situation d'inaptitude. Chaque mois, nous comptabilisons des dizaines de consultations liées à des licenciements pour inaptitude. Ces métiers, tels qu’ils sont organisés et exercés, sont des machines à essorer les salarié·es. Et inapte à 50 ans, quand on est une femme sans trop de qualifications, c'est terminé. Quand on le vit au quotidien, en prise avec les salarié·es concerné·es, c'est très violent. Vous disiez que personne ne le prend en compte, mais j'ai l'impression que si. Voilà 15 ans que les politiques qu'on rencontre disent que c'est embêtant, que ça coûte, mais personne ne bouge. Je l'ai vécu sous plusieurs séquences politiques. Socialiste, de droite, macroniste, à chaque fois, on a des contacts et à chaque fois, ce sont les mêmes réflexions.

Oui, il faut faire quelque chose, les chiffres sont affolants, mais personne ne lève le petit doigt.

Le travail de nuit, aggravant silencieux des risques

Un impact fort sur la santé des femmes

CG - Je voudrais aussi souligner le fait que le travail de nuit entraîne des conséquences importantes sur la santé. Et cela, notamment pour les femmes. On constate une majoration du cancer du sein pour les femmes qui travaillent de nuit. Sauf qu'en l'occurrence, c'est un secteur qui est entièrement composé de femmes. Elles sont, du fait de ces contraintes temporelles, beaucoup plus exposées à des risques qui leur sont propres et qu'il faut chercher à éviter, à prévenir.

SF – D’autant que le travail de nuit est un non-sens historique, notamment avec les heures d'équivalence. Avant le retour des heures d'équivalence, il y avait un système de forfaitisation dans les entreprises qui payaient royalement 10 euros la nuit. Nous avions fait retoquer ce forfait par le Conseil d'État, aussi les entreprises ont-elles renégocié les heures d'équivalence. Un accord imbuvable qui stipule que le ou la salarié·e doit faire une évaluation en fonction de l'état du patient et que son salaire est fixé en fonction de ça. Un salarié·e peut être payé·e 2, 4 ou 6 heures pour 12 heures de présence de nuit. Qui évalue, qui contrôle ? C'est vraiment n'importe quoi.

0 0 votes
Évaluation de l'article