Alors que le nombre d’assistantes maternelles diminue en France, la question de leur avenir se pose avec acuité. Dans cet entretien, François-Xavier Devetter, chercheur à l'Ires, explore les enjeux de rémunération, la professionnalisation inachevée, le rôle des politiques publiques et les perspectives syndicales.
Cet article clôture une série en trois temps autour du métier d’assistante maternelle. Lire les premières parties.

Propos recueillis par Chrystel Jaubert

Des rémunérations trop faibles

Un salaire horaire inférieur au Smic

C'est un point noir qui attire particulièrement l'attention, parce que le métier d’assmat est l’un des rares métiers dans lequel le Smic est explicitement contourné. On est à un tiers du Smic horaire, en moyenne, pour un enfant gardé. 

Des inégalités territoriales liées au logement

Alors, évidemment, il y a des différences de rémunération relativement marquées d'un territoire à l'autre et très liées au prix du logement. Car dans le salaire d'une assmat, il y a plusieurs composantes dont la mise à disposition de son propre logement. 

Un revenu encore insuffisant

Même si l’on enlève la part de mise à disposition de son propre logement et de son propre matériel, le salaire reste faible et n'atteint le Smic mensuel que lorsque l’assmat garde 2,8 enfants à temps plein.

Une comparaison défavorable avec d’autres métiers

En comparant les assmats aux autres métiers des services à la personne, leurs salaires mensuels sont plutôt meilleurs, ou plutôt moins mauvais, mais restent bas pour des amplitudes horaires très longues, une charge de travail importante et une mise à disposition de toute une série d'autres ressources que le seul travail lui-même. 

Une faiblesse socialement acceptée

Cette faiblesse des salaires est cependant socialement acceptée car elle permet d'avoir des modes de garde accessibles ou relativement accessibles à tous. 

Professionnalisation inachevée

Une formation initiale limitée

Tout d’abord, la formation initiale exigée s'est un peu renforcée, mais reste très faible par rapport à ce qu'on pourrait attendre.

Le rôle des Relais Petite Enfance (RPE)

Ensuite, la professionnalisation est passée par l’accompagnement par les relais petite enfance (RPE) lorsqu'ils existent. À terme, ils devraient exister à peu près partout, du moins dans toutes les communes de plus de 10 000 habitants selon la loi sur le service public de la petite enfance (SPPE). 

Quand ils fonctionnent bien, qu’ils sont accessibles et que les assmats les fréquentent, les RPE jouent un rôle de communication avec d'autres professionnel·les responsables de ces RPE et entre les assmats elles-mêmes. Elles n'ont plus seulement le parc pour se rencontrer. Le RPE est un lieu de socialisation plus formel, plus accompagnant, plus encadrant.

Une hausse des rémunérations mais plus de travail

La professionnalisation est également passée par une hausse des rémunérations en comparaison des autres professions cependant en partie liée à un alourdissement de la charge de travail et à une augmentation du nombre d'enfants accueillis. 

Une PMI fragilisée

En revanche, la profession reste dans un interstice entre salariées et travailleuses indépendantes et d'autres formes d'accompagnement, d'encadrement qui existaient -ou auraient pu exister- sont au contraire un peu en voie de réduction. 

Je pense notamment à la PMI qui est en très grande difficulté sur toutes ses missions et qui, en conséquence, se recentre sur les missions jugées les plus prioritaires dont la protection de l'enfance. Aussi, la PMI joue-t-elle un rôle de plus en plus imparfait vis-à-vis des assmats. 

Dans notre enquête, nous n’avons pas spécifiquement travaillé sur la relation des assmats avec la PMI, mais nous avons constaté un tel manque de moyens que certains départements ont externalisé les demandes d’agréments à des professionnel·les d'autres structures, recruté·es notamment par des instituts régionaux de travail social ou des centres régionaux de formation des professionnel·les de l’enfance comme c’est le cas dans le Nord. 

Lire l'enquête.

Une logique de contrôle plutôt que d’accompagnement

Il n'y a plus véritablement de suivi, les puéricultrices ou les éducatrices viennent évaluer la sécurité des enfants, le principe de précaution s'applique au point qu'au moindre doute, la sanction tombe. À partir du moment où la situation est vécue comme une forme de contrôle-sanction, il ne peut pas y avoir d'accompagnement à la pratique professionnelle ou à l'activité éducative de la part de la PMI. 

Des disparités territoriales fortes

On pourrait imaginer que ces missions soient transférées aux RPE, mais là aussi de manière très hétérogène selon les territoires, selon les communes, selon les moyens consacrés et selon le recrutement. Il n'y a aujourd’hui aucune règle en la matière. Les responsables ou les coordonnatrices de RPE peuvent avoir des profils extrêmement divers pour exercer des missions multiples d'articulation vis-à-vis des parents, vis-à-vis des assmats et vis-à-vis des autres gardes d'enfants. 

Donc, pour l'instant, le RPE est un très bel outil, mais très imparfait parce qu'il n'a pas les moyens nécessaires pour fonctionner correctement. 

Des politiques publiques insuffisantes

Le le SPPE, un service public de façade

Le nom sonne bien, presque comme une victoire, à l’image du service public départemental de l'autonomie. Ce sont deux nouveaux services publics qui voient le jour dans une période où, au contraire, on tend à les détruire. Ce n'est pas un hasard, ça souligne un besoin extrêmement important devenu consensuel. Même la Macronie et la droite reconnaissent qu'on a besoin d'un service public départemental de l'autonomie et d'un service public de la petite enfance, que ce sont des missions qui relèvent du service public. 

Toutefois derrière le nom, le SPPE est une coquille vide sans secteur public, sans fonction publique, sans acteur public, sans droit opposable véritablement engagé. Voilà qui illustre tous les manques. 

La disparition des crèches familiales

Dans le même temps, les crèches familiales municipales sont plutôt en voie de régression voire de disparition. Beaucoup de départements et de communes se défaussent en effet sur le privé lucratif avec des conséquences dramatiques.

Une logique purement quantitative

Même l'idée de ce SPPE est très souvent prise sous l'angle de l'offre d’un nombre de places. La vision purement quantitative est privilégiée, mais à moyens constants avec, pour résultat, une réduction de la qualité de l’accueil ou du taux d'encadrement. C'est mécanique et mathématique. 

Tant qu'on est dans cette logique-là, les assmats constituent une offre de travail et une offre de places d’accueil particulièrement bon marché par rapport à d'autres formes d'emploi, notamment en crèche municipale, en Eaje ou en crèche familiale. 

La concurrence des micro-crèches privées

Elles sont concurrencées depuis une dizaine d'années par une autre offre low cost, celle des micro-crèches du secteur privé lucratif. Cette offre n’est très bon marché qu’en apparence puisque largement subventionnée, créant une division du travail et l'apparition du profit sur ce marché qui n’existe pas chez les assmats. 

Un métier en déclin

Des freins liés aux inégalités sociales

Ce métier attire peu ou attire de manière très temporaire. Je pense qu’il paie aussi la croissance des inégalités, c'est-à-dire de la ségrégation spatiale, résidentielle, l'augmentation du coût du logement, l'augmentation des inégalités de revenus. Celles qui accepteraient d’exercer ce métier n’ont pas forcément le logement le leur permettant et ne sont pas propriétaires. 

En somme, une main d'œuvre potentiellement disponible, précaire, de milieu populaire, acceptant des salaires bas parce que contrainte de le faire n'a pas les ressources pour exercer en tant qu’assmat agréée. 

Les Maisons d’assistantes maternelles (Mam)

Les Mam peuvent alors être une réponse parce que les assmats exercent en dehors de leur domicile. Ce n’est pas le pire des modèles, il a même un côté sympathique proche de l'auto-organisation et de l’esprit coopératif. Les Mam ont des aspects positifs et beaucoup d'aspects négatifs en termes de conditions de travail et de régulation. 

Le modèle capitaliste des micro-crèches

Le pire des modèles, c’est la micro-crèche avec une transformation de la garde d'enfants en modèle capitaliste classique, mettant à disposition des moyens de production, c'est-à-dire un local, souvent pas adapté d'ailleurs, et embauchant de la main d'œuvre à moindre coût. 

Ces deux systèmes, Mam et micro-crèches, relèvent quelque part de la même logique et constituent un modèle peu cher pour récupérer de la main d'œuvre de gens qui n'ont pas le logement à disposition pour exercer autrement. 

Syndicalisation et avenir collectif

Une distance avec le syndicalisme classique

Nous avons abordé cette question qui nous intéressait, mais la population des assmats est clairement très loin de l'activité syndicale, en tout cas dans son modèle classique. Cependant, elles communiquent beaucoup par les réseaux sociaux et sur certains sites. 

L’expression et la volonté d'expression sont très présentes et importantes, de même que la volonté de revendication, de défense de l'identité professionnelle et de défense des conditions de travail. 

C’est plutôt encourageant et va clairement dans le sens de l'activité syndicale. 

Une méfiance envers les syndicats traditionnels

En revanche, nous avons noté une réticence vis-à-vis des syndicats, notamment des syndicats dits traditionnels et représentatifs, ce qui explique que les organisations syndicales les plus présentes soient corporatistes et spécifiques aux assmats. Leur rapport au salariat est très ambivalent, elles préfèrent défendre une forme de statut indépendant. Tout le travail d'explicitation et de compréhension des pièges qu'il y a derrière ce statut est un sacré challenge pour les syndicats. 

Les limites des dispositifs collectifs

Selon moi, les mesures qui iraient dans le sens d'une amélioration du statut consisteraient à tendre vers l'instauration d'un tiers employeur ou en tout cas d'un tiers regardant la relation d'emploi, les RPE par exemple. Et on sait que les assmats y sont a priori très réticentes. 

L'activité syndicale se situe entre l’aspiration à un système idéal avec des moyens et ce que les assmats perçoivent d'un système intermédiaire qui n'aurait pas de moyens et dont elles se méfient. Cela mériterait des temps de discussion, de construction de la revendication et du modèle d’emploi. 

Comment faire avec une population géographiquement éclatée et sans véritable temps collectif de discussion en dehors de ses forums ou de ses pages Facebook ? 

Un équilibre difficile entre encadrement et autonomie

Les assmats peuvent très bien ressentir de manière forte que la relation vis-à-vis du particulier employeur est très pénalisante et en même temps constater que le RPE, par exemple, n'est pas en mesure de s’y substituer, préférant encore le faire elles-mêmes plutôt que de se soumettre à un regard extérieur et à des contrôles. 

Avoir l'encadrement et la protection salariale sans avoir le contrôle, c'est difficile à se représenter quand aujourd'hui, les assmats ressentent davantage le contrôle, notamment de la PMI, et pas du tout l'accompagnement qu'elles pourraient escompter. Difficile pour l’activité syndicale de trouver sa voie entre les revendications de court terme et les revendications de long terme. Les avancées peuvent parfois éloigner d'une vision idéale à plus long terme. 

Je considère qu’on est presque dans une situation où les petits pas que l'on peut faire dans un sens, positifs à court terme, nous éloignent de la vision de ce que pourrait être un vrai service public de la petite enfance. 

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