Chaque samedi après-midi, Eloy Fernandez reçoit les employé.e.s et les gardien.ne.s d’immeubles dans les locaux de la CGT du Service à la personne. Les entretiens sont en général très longs et très denses, car il est fréquent que plusieurs problèmes coexistent.

Des situations compliquées et chargées d'affect

Eloy prend le temps pour chacun.e. Il faut dire que chaque situation est compliquée et souvent chargée d’affect. « Lorsque ces personnes finissent par venir me trouver, elles charrient depuis des années des problèmes et des contentieux. Elles sont cassées, au bout du rouleau. Il s’agit la plupart du temps de cas lourds qui nécessitent beaucoup d’écoute », avance-t-il. Une question d’heures de sortie des poubelles à Paris, quasi-systématiquement en inadéquation avec les termes des contrats. De fréquents problèmes de harcèlement de la part de copropriétaires ou des syndics. Des accidents du travail et des maladies professionnelles difficiles à faire reconnaître comme telles. Des temps de travail trop importants, trop de tâches, des avenants en cascade induisant des dérogations aux dispositions légales…

« C’est souvent tout en même temps, reprend Eloy. Ce qui demande d’étudier chaque pièce avec attention, de rechercher des informations et d’écrire de nombreux courriers. Leur convention collective est difficile et dense. Aider les employé.e.s et gardien.ne.s d’immeubles nécessite donc des interventions techniquement compliquées. »

Une même fratrie, deux cas différents

Début d’après-midi, un frère et une sœur prennent place face à Eloy. Il est gardien d’immeuble à Paris, elle est gardienne à Clichy. Tous deux ont des problèmes particuliers. Ainsi, le gardien parisien est dans une situation qu’Eloy qualifie de « très grave ». En effet, son contrat stipule qu’il officie dans un immeuble de 62 lots alors qu’il en compte 81. Si les 81 lots étaient normalement pris en compte, il serait à 18 100 UV, soit 181 %*, « ce qui est totalement illégal ». Eloy se fend donc d’un courrier, établi au nom du gardien. Il y demande l’ouverture de négociations afin de lui enlever des tâches comme le stipulent les dispositions conventionnelles. Il exige également le règlement des heures supplémentaires des trois dernières années. En l’absence de réponse à ce courrier, Eloy sera là pour passer à la vitesse supérieure et faire valoir le droit.

La sœur de ce monsieur, pour sa part, a des difficultés à percevoir ses IJSS (indemnités journalières de Sécurité sociale). En arrêt de travail depuis novembre 2019, puis en mi-temps thérapeutique, elle n’a pas été en capacité de reprendre son activité à temps plein. Son médecin lui a donc réimposé un arrêt de travail. Normalement, en cas d’arrêt de travail de plus de trois mois, la caisse de prévoyance doit verser un complément de salaire. C'est à l'employeur de déclencher ce versement. Or, dans le cas de cette dame, l’employeur ne l’a pas fait. Les conséquences financières se font sentir. Eloy écrit donc un courrier au syndic, au nom de la CGT, pour réclamer le paiement des sommes dues. Une même fratrie, deux cas différents, mais qui, selon Eloy, sont assez fréquents.

@Chrystel Jaubert, Eloy Fernandez recoit sur rendez-vous les gardiens d'immeuble au Syndicat du service à la personne, 18 avenue Parmentier à Paris 11e.

Élizabeth, prête à tenir tête

Une pression de plus en plus forte

Elle prend la suite accompagnée de son mari. C’est la deuxième fois qu’Élizabeth vient trouver Eloy. Elle est gardienne d’une résidence à L’Häy-les-Roses depuis 18 ans. L’arrivée d’un nouveau syndic, en juin 2019, a marqué le pas des bonnes relations qu’elle entretenait avec la copropriété. Elle se dit victime de harcèlement de la part du représentant du syndic et souhaite donc savoir comment y mettre un terme. Aux premières pressions morales, elle a consulté son médecin qui lui a diagnostiqué de l’hypertension.

Textos incessants sur son temps de repos, convocations orales et en l’absence de son mari, photos d’elle prises à son insu dans l’immeuble, refus de lui donner des jours pour le décès de son père, tour à moto sous ses fenêtres à des heures tardives... Et même une mise en cause pendant le confinement pour nuisances sonores lorsque les copropriétaires applaudissaient les soignants à 20 heures ! La liste des pressions est longue, d’autant que le représentant du syndic a su coaliser certains copropriétaires, nouvellement arrivés, pour « avoir la tête » d’Élizabeth. Laquelle, aujourd’hui, déclare : « Moi maintenant, il me fait peur ». Eloy précise d’emblée : « Pour établir le harcèlement, il faut prouver que ce monsieur agit dans l’intention de nuire psychologiquement. Que c’est répétitif et qu’il profite de failles. »

« À partir de maintenant, tout doit être écrit. »

La démarche qu’elle doit désormais observer ? Pointer tous les dysfonctionnements. Les écrire en les détaillant, avec l’heure, la date et les circonstances. Faire une sauvegarde de tous les messages et courriels. Constituer un dossier médical avec le médecin traitant, voire aller consulter un.e psychologue pour baliser le dossier. En parallèle, elle doit engager la même démarche avec la médecine du travail. « Quand vous aurez ça, poursuit Eloy, on pourra avancer, rencontrer un avocat et envisager une procédure en mettant l’inspection du travail dans la boucle ».

Élizabeth se défend aussitôt de vouloir aller jusque là, mais Eloy est formel : « Un harceleur n’arrête jamais ». Il la prévient ensuite : « À partir de maintenant, tout doit être écrit. Vous ne passez plus aucun arrangement ou accord oralement et vous refusez de le rencontrer sans convocation officielle et en dehors de la présence de votre mari ». Avant de la laisser s’en aller, il lui enjoint de demander aux copropriétaires qui la soutiennent, les trois quarts d’entre eux selon elle, de s’engager à ses côtés. « Un syndic n’est jamais condamné. C’est la copro qui l’est et si tel est le cas, tous les copropriétaires paient. », rappelle-t-il. Un peu regonflée, même si ce qui l’attend n’est pas facile, Élizabeth repart en sachant ce qu’elle doit faire.

Quand c'est la santé qui prend

Des difficultés qui s'accumulent

Philippe se présente ensuite. Il connaît bien Eloy qui suit son dossier depuis quelques années. Une agression, des problèmes de santé à répétition, des arrêts de travail, trop de tâches à effectuer dont certaines non valorisées… Les difficultés s’ajoutent les unes aux autres. Depuis 2019, Philippe a été opéré successivement d’un pied, puis d’un genou. Aujourd’hui, des tendinites sous les pieds et aux coudes le font souffrir. « Je ne peux pas reposer mes pieds puisque je travaille en station debout toute la journée », déplore-t-il. « Tout le monde sait que votre métier est un métier physique, rétorque Eloy. Mais il va falloir envisager d’aller consulter votre médecin traitant pour, en lien avec la médecine du travail, engager une procédure de reconnaissance en maladie professionnelle ou en inaptitude si le médecin estime qu’il ne vous est plus possible d’effectuer ce travail ».

Eloy a quelques éléments qui jouent en faveur de Philippe. En effet, après consultation de la liste des tâches qu’il effectue, Eloy arrive à 14 500 UV (145 %), soit 20 % de plus que le maximum légal. De plus, certaines tâches figurent au contrat, mais ne sont pas valorisées. Eloy insiste pourtant : « Ça ne suffit pas de dire qu’ils ont chargé la mule et que vous avez des problèmes de santé quasi-chroniques. Il faut aller consulter et établir le préjudice. Sachez que ça ira en contentieux. Mais qu’est-ce qui est le mieux, leur intérêt ou votre santé ? ».

Un dossier au long cours

La femme de Philippe l’a accompagné. Elle semble assez inquiète de l’état de santé de son époux : « Il est trop gentil, il ne dit jamais non à rien ! ». C’est que Philippe estime qu’il exerce « un métier enrichissant » : « À l’exception du syndic et des membres du conseil syndical, j’ai de bonnes relations avec les copropriétaires et de bons retours sur mon travail. Ils me disent que quand je ne suis pas là, ça se voit tout de suite ! ». Eloy revient finalement à des considérations plus concrètes : « Je vais leur faire un courrier pour le paiement de toutes ces heures supplémentaires sur les trois dernières années. Et demander un entretien pour remettre à plat votre contrat et les tâches à effectuer. En attendant, vous vous occupez de votre santé ». Un dossier au long cours qui ne fait que commencer.

*Un gardien d’immeuble est payé à la tâche. On calcule la part du ménage en fonction du nombre de lots de l’immeuble. On en déduit des UV (unités de valeur) et un pourcentage qui correspond au taux d’emploi. Ce taux sert à calculer le salaire de base. Le salaire de référence est fixé à 10 000 UV, soit 100 %. Au-delà et dans un maximum conventionnel de 125 %, ce sont des heures supplémentaires.

Vous êtes gardien.ne d'immeuble, vous avez des questions ? Contactez le : 01 42 40 36 90 ou eloyfernandez@free.fr

Dans quelques mois, vous pourrez voter pour élire l'organisation syndicale qui vous représentera. Retrouvez notre profession de foi.

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