Le 6 mars, de 10 h à 11 h 30, la CGT du Service à la personne vous propose de participer à un webinaire intitulé « Les assistantes maternelles face aux discriminations institutionnalisées ». Le chercheur Sonny Perseil y échangera avec Sophie Binet, dirigeante de la CGT, en charge du collectif Femmes mixité. Rachel Ruhland, assistante maternelle agréée, interviendra également.

À deux jours de la Journée internationale de lutte pour les droits des femmes, durant laquelle la CGT va mettre en lumière toutes les travailleuses invisibles autant qu’essentielles, cet événement sera l’occasion d’évoquer l’enquête menée par Louise et Sonny Perseil*. Droits bafoués, rupture d’égalité, défaut de reconnaissance… Les assmats sont victimes de ce que les auteurs qualifient de discrimination institutionnalisée. Notes de lecture et explications par Chrystel Jaubert.

Un scandale à facettes

Louise et Sonny Perseil ont récemment publié une enquête*. Celle-ci vise à « dénoncer la situation révoltante et injuste » dans laquelle les assmats travaillent. Ils y livrent une observation au long cours, en immersion au plus près du terrain. Ils proposent également des pistes d’amélioration pour contribuer à faire évoluer le métier d’assmat.

Dès l’avant-propos, la couleur est annoncée et les assertions abruptes. Condition dévalorisée, position de néo-domesticité, bas salaires pour une durée de travail supérieure à la durée légale... « Le véritable scandale des assmats est que l’ensemble de ces conditions indignes de travail soient mises en place et gérées par les pouvoirs publics, qui organisent ainsi une discrimination institutionnalisée », disent d’emblée les auteurs de l’enquête.

Une enquête en observation participante

Quelques mots des motivations et de la méthode suivie. Du fait de la rencontre avec une assmat qui garde leur premier enfant, Louise Perseil commence à s’intéresser à la profession. Puis elle franchit le pas et se professionnalise en 2007. Progressivement, elle prend conscience de la dévalorisation du métier et de ses professionnel.le.s. Son époux, Sonny Perseil, est docteur en sciences politiques et chercheur au Conservatoire national des arts et métiers.

Ensemble, le couple adopte dès lors une posture « d’observation participante ». Il s’attache à recueillir des témoignages, des retours d’expériences, des réflexions issues d’une cinquantaine d’assmats. C’est là le corpus, la matière de base, donnant corps à l’enquête. Celle-ci s’appuie par ailleurs sur plusieurs études et données scientifiques, sociologiques et économiques. Les Perseil sont clairs : « Cette enquête a ainsi pour ambition d’être une recherche-action et souhaite contribuer à l’évolution du cadrage, juridique et sociologique, du métier d’assmat ». Au-delà d’un énième constat, donc.

"Assmat", une appellation sexiste

La terminologie a son importance. Les auteurs estiment que l’appellation même d’assmat « constitue un contresens », qu’il est inapproprié et dévalorisant. L’assmat n’est pas une assistante, elle supplée les parents pendant leur journée d’activité et « gère » leurs enfants. Le terme révèle de surcroît une référence genrée au rôle de la mère. L'assmat est pourtant bien au service des deux parents. Pour les auteurs, « Le sexisme doit être ici souligné car il correspond à ce qui paraît être la première justification du peu de considération dont bénéficient les assmats d’un point de vue professionnel ». C’est bien connu, les femmes sont naturellement mères !

Sexisme donc, mais aussi infantilisation avec le terme de « nounou », vocable « tellement banalisé qu’il en devient quasiment institutionnalisé ». Et du coup, « comment considérer la réalité professionnelle, complexe, de ces travailleurs.euses, faite de compétences validées, de contrôles, de contraintes et de responsabilités considérables quand on utilise une telle appellation puérile ? ». Les auteurs esquissent une première proposition de nature à redonner de la considération à la profession. Ils suggèrent en effet qu’on les désigne comme « auxiliaires de puériculture agréées ». Une appellation qui comprend à la fois l’activité de puériculture, la fonction d’auxiliaire plutôt que d’assistant.e. Et qui renvoie à l’agrément en tant qu’élément de « contrôle social incontournable pour des professionnel.le.s exerçant à domicile ».

L'agrément et le recrutement, sources de rapports déséquilibrés avec les institutions

Un lien de subordination se met insidieusement en place

Au contrôle et à l’évaluation, justement, les auteurs consacrent un chapitre. La profession est réglementée et soumise à un agrément délivré par le Conseil départemental. L’accès au métier est « ainsi conditionné à l’évaluation positive que font les services en charge de ces dossiers, c’est-à-dire des infirmières puéricultrices représentants l’autorité publique, rattachées souvent à une PMI ».

Entre évaluation des compétences et de la conformité du logement, les auteurs considèrent que la nature même de l’expertise, multiforme, alimente les rapports de domination. Elle « représente donc un levier de pouvoir et d’influence ». Car il existe « un fossé extrêmement profond entre d’une part des puéricultrices, des infirmières, des médecins, des enseignants ou des cadres de la fonction publique, et d’autre part les assmats ». C’est là où un lien de subordination hiérarchique se met insidieusement en place. Le « regard extérieur » fait petit à petit l’objet d’une crainte de la part des assmats. Pour sortir de ce rapport déséquilibré, les auteurs proposent que la supervision professionnelle des assmats soit organisée en concertation avec elles.

Un recrutement peu objectif

Quels sont les critères de recrutement d’une assmat agréée ? La proximité des domiciles est le premier facteur de choix. Mais à la notion de distance géographique s’ajoute celle, plus difficilement mesurable, de « distance sociale qui sépare leur foyer (des parents) de l’environnement de l’assmat ». Les capitaux culturels et économiques ont ainsi toute leur importance au moment du choix, mais aussi la famille de l’assmat. Ces éléments totalement indépendants des compétences sont des facteurs de discrimination au moment du recrutement. Ils sont difficiles « à mettre en évidence et à prouver » puisqu’ils participent d’un « glissement de la compétence à la qualité ».

Les préjugés racistes, les stéréotypes culturels et les pratiques religieuses s’invitent assez régulièrement dans le processus de recrutement d’une assmat. Alors même qu'ils sont interdits comme toute discrimination à l’embauche. Pas de réponse des PMI, RAM et autres institutions publiques. Outre une information détaillée et une communication sur les bonnes pratiques, les auteurs préconisent la mise en œuvre de procédures. Par exemple, une incitation ou une obligation, pour les parents qui ne recrutent pas, à fournir un formulaire de compte-rendu de l’entretien avec l’assmat. Histoire de les mettre face à eux-mêmes et leurs propres préjugés.

Un régime dérogatoire particulièrement défavorable

Une durée de travail supérieure au maximum légal

Déconsidérées et parfois discriminées, les assmats relèvent en outre d’un « régime dérogatoire du droit du travail (leur) étant appliqué de façon particulièrement défavorable ». C’est un fait, les assmats sont sous-payées pour une durée de travail bien supérieure au maximum légal. Le salaire des assmats peut en effet « théoriquement être plus de trois fois inférieur au SMIC ». C’est là, selon les auteurs, au-delà de l’aberration juridique, « une exception d’inconstitutionnalité », une « violation du principe d’égalité qui est à l’origine de ce qu’on appelle les discriminations ». Une discrimination mise en place par décret et confortée par la convention collective. Ce qui est également « contraire au principe constitutionnel de la hiérarchie des normes ».

Ceci fonctionne là encore sur des idées reçues ! Celles-ci consistent à dire qu’une journée de travail de l’assmat n’est pas pleine. Comme si elle se déroulait confortablement à domicile, tranquille quand les enfants font la sieste. La réalité, les assmats la connaissent. C’est plutôt plusieurs enfants qui ne dorment pas en même temps. La responsabilité reste entière toute la journée. Et le temps de travail déborde au-delà des heures de garde (préparation des repas et des activités, ménage, échanges avec des collègues ou avec les parents…).

Précarisé.e.s, et peu aidé.e.s

De plus, autre fait objectif, même avec un agrément pour plusieurs enfants, le sous-emploi des assmats est important. « La situation d’emploi est instable et paradoxale. » Elle relève d’une forme de précarisation professionnelle à laquelle Pôle emploi répond mal. L’enquête des époux Perseil insiste aussi sur le fait que les aides dont les parents bénéficient tirent les rémunérations vers le bas. Les assmats, elles, ne perçoivent aucune aide pour leurs propres enfants en bas âge. Elles sont privées de certaines aides dont les autres salarié.e.s bénéficient. Elles engagent par ailleurs des frais importants pour l’exercice de leur métier qui ne sont pas compensés par la prime d’installation ou par les mesures de réduction fiscale pour frais professionnels.

Un temps de travail aberrant

« Parallèlement à cette faible rémunération, en dessous du SMIC horaire par enfant accueilli, des durées de travail très longues sont consenties par les assmats ». En somme, la durée de leur travail « est déconsidérée, appelée durée de l’accueil ». Ce qui, ajouté aux faibles niveaux de rémunération, constitue « sans doute les deux éléments les plus préoccupants qui constituent la discrimination institutionnalisée des assmats pas encore inscrit.e.s à 100 % dans le régime général du droit du travail ».

Pour casser ce que les auteurs appellent une « dérogation pour cause de mépris social », ceux-ci avancent des pistes simples. Par exemple, payer les assmats au moins au SMIC en tenant compte des heures d’accueil comme des heures de travail plein. Ou encore exonérer fiscalement les dépenses de fonctionnement , ou compenser la garde de leur enfant propre. Selon eux toujours, « la réforme ne peut que venir d’en haut ». Voilà pourquoi ils souhaitent sensibiliser les pouvoirs publics, la société civile et les organisations professionnelles.

« Nous n’avons jamais rencontré d’assmat sans problèmes de santé »

Et il est urgent d’agir ! En effet, les conditions de travail des assmats sont éprouvantes. Les auteurs racontent ainsi avoir « rencontré de nombreuses personnes cassées par leur travail ». D’un point de vue psychologique, « la dépression et le burn-out menacent constamment, conséquences d’un stress quotidien de haute intensité ».  Et d’affirmer : « Le fait est que nous n’avons jamais rencontré d’assmat sans problèmes de santé, plus ou moins graves ». Le paradoxe, écrivent-ils encore, c’est qu’il n’existe pas de médecine du travail pour les assmats**. « Nous ne disposons d’aucune étude sur la santé et les pathologies de ces professionnel.le.s », ajoutent-ils.

Pourtant, les maux sont nombreux qui concernent tout d’abord, au plan physiologique, les douleurs chroniques du dos, lombalgies, douleurs articulaires… Au plan psychologique, les sources de stress sont également légion qu’il s’agisse des enfants, des parents ou les instances de contrôle (visites de l’infirmière-puéricultrice, notamment). Afin d’endiguer la sinistralité de la profession, les auteurs appellent de leur vœu « l’accompagnement d’une médecine du travail ». Car « il s’agit de tout faire pour aider (les assmats) à exercer leur activité dans des conditions moins risquées et périlleuses, pour leur santé, tant physique que mentale ».

Vers une nouvelle domesticité ?

Une fois pointés les ressorts de la discrimination institutionnelle faite aux assmats, Louise et Sonny Perseil s’interrogent sur la notion de nouvelle domesticité dont elles relèveraient. La domination serait déplacée dans le cadre du salariat, selon un engagement contractuel entre les deux parties. Selon eux, les règlementations qui organisent la profession paraissent favorables : « Mais favorables à qui ? (…) Le statut créé n’institutionnalise-t-il pas, comme nous venons de le détailler (…), une forme de discrimination au regard des principes généraux du droit du travail dont bénéficient les autres salarié.e.s ? » Et de développer l’idée d’une invisibilisation des actes éducatifs du champ des compétences et responsabilités des assmats. Cela participe naturellement au défaut de reconnaissance de l’activité.

A quel secteur se rattacher ?

« Les hésitations demeurent donc quant au classement de cette activité dont on se demande si elle ressort du secteur de l’aide à la personne, de l’éducation ou de ce que l’on nomme de façon imagée et peu précise la petite enfance ». L’activité a historiquement relevé de la sphère domestique. « Il y a eu transformation d’une activité domestique en emploi salarié, dans le cadre d’une relation duelle entre les parents et l’assmat. » Et « s’il est un domaine où la naturalisation des compétences professionnelles dites féminines est convoquée, c’est bien celui de la petite enfance ». Effet direct, les professionnelles se perçoivent comme « dévalorisées, déconsidérées, voire méprisées (…) ravalées au rang de gardes ».

Sortir de la dérogation

En substance, les auteurs parlent d’une condition domestique. « Les pouvoirs publics ont instauré un système mixte qui autorise une forme hybride de salariat, en plaçant délibérément les assmats en dehors de nombreuses règles de droit commun du travail, au profit des parents (et en particulier des mères qui reprennent une activité professionnelle après leur accouchement), employeurs promus dès lors au rang de « maîtres » de ces nouveaux domestiques mis à leur disposition ».  Seule solution selon eux, faire de l’activité d’assmat un emploi à part entière. Elle relèverait ainsi uniquement et totalement du droit du travail, sans dérogation.

Le virus, une opportunité de faire avancer les droits ?

La rédaction de cet ouvrage s’est achevée au printemps 2020, en pleine période de confinement. Les Perseil estiment en conclusion que le coronavirus a été une sorte de goutte d’eau qui fit déborder le vase. C'est le cas de nombreuses assmats « qui vécurent très mal leur situation professionnelle pendant ces jours sombres ». L’incurie des pouvoirs publics, l’absence de réponses fiables quant aux dispositifs mis en œuvre, les conditions de la reprise à l’issue du confinement sont autant d’éléments qui ont généré une forte angoisse. Ils auront finalement ajouté un sentiment de dégoût à celui du défaut de reconnaissance.

Certaines ont clairement baissé les bras et fait part de leur volonté de cesser leur activité. Mais d’autres se sont organisées en collectifs, ont créé des blogs. Et une intersyndicale a tenté d’arracher un droit de retrait adapté au secteur. Le virus, une opportunité de faire avancer les droits ? Peut-être, selon les auteurs. Ils appellent de leurs vœux « une approche résolument constructive » qui permette de sortir les assmats « des conditions indignes, souvent discriminées, dans lesquelles elles évoluent ». De fait, « une amélioration de leur sort sera profitable à tous et en premier lieu aux enfants ».

Un webinaire pour en parler

Participez à notre webinaire !

Le 6 mars, nous vous convions à un webinaire pour évoquer ensemble tous ces sujets. Sonny Perseil sera présent pour répondre à toutes vos questions. L'inscription est gratuite et obligatoire, nous vous attendons nombreuses.eux !

* Le scandale des assistantes maternelles de Louise et Sonny Perseil, L’Harmattan et Éditions Pepper, septembre 2020, 114 pages, 12,50 euros

** Depuis la sortie de cet ouvrage, les partenaires sociaux du secteur des particuliers-employeurs et de l’emploi à domicile ont lancé l’expérimentation d’un dispositif innovant de santé au travail et de prévention des risques professionnels. Un premier jalon dans la mise en œuvre d’une véritable médecine du travail dans le secteur.

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