Dossier – La société au pas
Loi de sécurité globale. Une fois n’est pas coutume, votre blog s’arrête sur une actualité qui, à première vue, ne concerne pas directement votre secteur d’activité. C’est pourtant le cas. La loi de sécurité globale durcit les conditions d’exercice des libertés publiques et de la démocratie pour tous. Elle a déjà été adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale la semaine dernière. Sur fond de crise sociale, alors que les colères sont sourdes et confinées, cette loi entend prévenir et mettre au pas toute velléité de les manifester.
Le premier acte mardi dernier aux abords de l’Assemblée nationale. Le deuxième samedi place du Trocadéro. Les deux premières mobilisations contre la loi de sécurité globale ont été largement suivies, à Paris comme dans de nombreuses villes de province. Décryptage de Chrystel Jaubert.
Que contient la loi ?
Surveillance par drones, recours à la sécurité privée, interdiction de diffuser des images de policiers… Voici un aperçu partiel des dispositions de la loi de sécurité globale. Celle-ci a fait l’objet d’une procédure accélérée d’examen par le Parlement. Amnesty International la qualifie de « loi liberticide qui menace la liberté d’expression, le droit à manifester et le droit à la vie privée ». Une critique également formulée par la Défenseure des droits. Ou encore par l’Organisation des Nations-unies (ONU), saisie par la Ligue des droits de l’homme (LDH). Entre autres.
Cette loi se place dans la droite ligne du Schéma national du maintien de l’ordre du 6 septembre dernier*. Les orientations sécuritaires du gouvernement s'y déclinent en 32 articles. Florilège.
Nouvelles prérogatives pour les policiers municipaux
L’article 1 élargit le champ d’intervention des policiers municipaux et leur octroie de nouvelles prérogatives. Grâce à ce transfert de compétences, ils peuvent constater et verbaliser des infractions très larges. Elles vont du code de la route au deal en passant par la vente à la sauvette.
Les communes supportent donc des missions régaliennes. La politique de sécurité est ainsi soumise au seul arbitrage des maires et aux moyens, divers, des communes. Le secteur de la sécurité privée est promu « partenaire » des forces de police dans les « conditions d’une relation de confiance ». Les policiers, quant à eux, peuvent porter leur arme en dehors de leur service lorsqu’ils accèdent à des établissements recevant du public.
Caméras-piétons et drones : la crainte d'une surveillance généralisée
Le texte autorise aussi la transmission des images issues des caméras-piétons embarquées sur les policiers. Jusqu’alors, on les utilisait exclusivement a posteriori pour éclairer des faits contestés. Désormais, elles seront transmises et exploitées « en temps réel au poste de commandement » (article 21). L’article 22 entérine l’utilisation élargie (anti-terrorisme, zones de deal, manifestations, transports) de drones équipés de caméras aéroportées. En même temps que la collecte massive et indistincte de données à caractère personnel. La porte ouverte à la reconnaissance faciale, en quelque sorte. Surtout quand on sait qu'on a rejeté tous les amendements visant à l’exclure.
La Quadrature du net, association de défense des libertés numériques, s'associe avec 64 organisations, dont la LDH et le Syndicat des avocats de France, pour protester. Ils estiment que rien ne permet dans le texte de garantir le respect des données personnelles. Selon eux, le déploiement massif de ces drones conjugué à celui des caméras mobiles entraîne « une capacité de surveillance généralisée de l’espace public ».
L'article 24, un nouveau délit
Alors qu’on anonymise les policiers, on surveille massivement les citoyens. Ce qui pose quelques questions. Qui raconte les événements ? Qui produit les images ? Et qui contrôle le récit ? L’article 24 entend y répondre « en faisant encore reculer le contrôle démocratique de ce qui se joue » selon le Syndicat de la magistrature. Cet article crée en effet un nouveau délit dans la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Il prévoit notamment de réprimer « d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende » le fait de diffuser « l’image du visage ou tout autre élément d’identification » d’un policier ou d’un gendarme « dans le but manifeste qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique ». Encore faudrait-il qualifier l’intention de nuire.
Sans surprise, l’ensemble des syndicats de journalistes et des organisations de défense des droits de l’homme et des libertés réclame le retrait de cet article. On le considère comme une atteinte frontale et anticonstitutionnelle au droit d’informer.
Pour mémoire, le président de la République lui-même, pendant les mobilisations des gilets jaunes, niait l’existence de violences policières. Et ce alors que de nombreuses vidéos circulaient sur les réseaux sociaux, certaines étant même devenues virales. Malgré les plaintes déposées à l’encontre de policiers, seul un faible nombre finit par faire l’objet d’une enquête de la part de l’IGPN.
Des images cruciales
Pourtant, ce sont bien des journalistes et des citoyens qui ont révélé l’affaire Benalla grâce aux images qu'ils avaient tournées. Elles ont permis l’ouverture d’une enquête sur la mort de Cédric Chouviat, livreur de 42 ans mort lors d'une interpellation policière. Mais également de faire la lumière sur la charge de CRS dont Geneviève Legay, 73 ans, a été victime au cours d’un rassemblement niçois de gilets jaunes. Ou encore de tenter d’invalider la thèse de l’accident pour la mort de Zineb Redouane, octogénaire atteinte à sa fenêtre par un tir de grenade et morte des suites de sa blessure. Nul besoin de poursuivre la litanie des bavures.
Comme le résume Arié Alimi, avocat et membre de la LDH, les images obtenues décrédibilisent « l’action publique et le monopole de la violence légitime telle qu’ils (les policiers) la conçoivent ».
Ce que confirme le Haut-commissariat aux droits de l’homme de l’ONU : « L’information du public ou la publication d’images et d’enregistrements relatifs à des interventions de police sont non seulement essentielles pour le respect du droit à l’information, mais elles sont en outre légitimes dans le cadre du contrôle démocratique des institutions publiques ».
N’en déplaise à l’ONU, Jean-Michel Fauvergue, ex-commissaire, ex-directeur des unités d’élite de la police et corapporteur du texte (LaREM), assume vouloir « reprendre le pouvoir dans la guerre des images ». Et du même coup invisibiliser le traitement répressif des contestations citoyennes et syndicales.
L’objectif de l’article 24, c’est clairement de limiter les images réalisées lors d’opérations dites de maintien de l’ordre et notamment de manifestations. Selon Céline Verzeletti, secrétaire confédérale de la CGT, « C’est une attaque en règle contre la liberté de manifester (…) qui ne nous permet pas d’élargir les mobilisations, nécessaires puisque dans le même temps, nous subissons de fortes offensives sociales de la part de ce gouvernement ». A écouter et voir ici.
Les manifestations changent-elles la donne ?
Le gouvernement n’entend pas reculer. Tout juste a-t-il consenti à ripoliner l’article 24 dont la philosophie demeure. L'Assemblée nationale a même adopté le texte en première lecture en fin de semaine dernière. Mais le collectif de syndicats de journalistes et d’organisations de défense des droits et libertés ne relâche pas la pression. C'est ce qu'indique Emmanuel Vire, secrétaire général du SNJ-CGT. Différents recours vont ainsi être déposés au Sénat, au Conseil constitutionnel et à la Cour européenne des droits de l’homme.
La rencontre qui s'est tenue lundi 23 novembre avec Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur, a tourné court. Bien que la loi a été adoptée à l'Assemblée nationale le lendemain, le collectif de syndicats et organisations opposés à la loi de sécurité globale appellent à une nouvelle mobilisation samedi 28 novembre.
*Le schéma national du maintien de l’ordre établit notamment l’obligation de la détention de la carte de presse pour couvrir une manifestation. Il établit également le délit d’attroupement pour les journalistes décidant de rester en observateurs jusqu’à la dissolution du cortège.