Les 16 et 17 mai derniers, le colloque « Travailleuses et travailleurs domestiques : unité ou fragmentation du droit social ? » s’est tenu à Sceaux.

Deux jours d’échanges organisés sous la direction scientifique de Sandrine Maillard-Pinon, maître de conférences à l’Université Paris-Saclay*. Elle expose les raisons pour lesquelles les universitaires s’emparent du champ du travail domestique comme objet de recherche.

Propos recueillis par Chrystel Jaubert

Pourquoi les chercheurs s'intéressent-ils au travail domestique ?

Jusqu’alors, il existait beaucoup d’études en sociologie, en économie ou en sciences politiques. Mais les chercheurs en droit et les juristes ne s’intéressaient pas au travail domestique en France sous l’angle du droit social. Notre colloque a été le premier du genre concernant le droit du travail pour les travailleurs·euses domestiques.

L’initiative est née de la rencontre de trois chercheurs·euses en droit. Laure Camaji est spécialiste en sécurité sociale et protection sociale et s'intéresse aux politiques sociales. Raphaël Encinas de Muñagorri travaille sur la sociologie et les politiques sociales. Enfin, moi-même je venais de découvrir la matière à la suite d’un rapport sur le travail domestique commandé par les éditions Dalloz.

L’articulation des règles de droit du travail applicables m’a d’abord intriguée. Chacun·e de notre côté, nous avions donc commencé à travailler le sujet sous des angles différents. Nous nous sommes ensuite rencontrés et avons organisé ce colloque.

Plus particulièrement, sur quoi portent vos recherches ?

Elles portent sur le droit du travail, axé sur la protection des droits fondamentaux, la question de la vie privée, de la liberté d’expression, des équilibres des intérêts des employeurs et des salarié·es.

Le droit du travail domestique touche à de nombreux pans : la place de la négociation collective, l’articulation entre les normes collectives et le contrat de travail, la flexibilité du temps de travail, la place de l’OIT… Le travail domestique m’est apparu comme un véritable laboratoire de recherche. Il met en avant des évolutions qui touchent plus largement au droit du travail.

Quels constats dressez-vous ?

Ce qui m’a marqué en premier lieu, c’est la diversité des règles de droit du travail applicables.

Il y a plusieurs statuts d’employeurs (particulier employeur, entreprises et associations de services à la personne) : autant de branches que de droits du travail.

Curieusement, les dispositions de droit commun du code du travail ne s’appliquent pas aux salarié·es du particulier employeur. Ceux-ci sont privés des dispositions protectrices du code du travail. En revanche, les salarié·es des associations ou des entreprises de services à la personne sont soumis·es au code du travail, mais avec bon nombre de dérogations et une large part donnée à la négociation collective.

Ceci interroge l’articulation entre le code du travail et toutes les normes collectives, puisque le choix du législateur a été de donner la main aux partenaires sociaux. C’est un droit du travail largement dérogatoire.

Le colloque proposait ainsi de réfléchir à cette fragmentation du droit du travail et à la possibilité d’une unité.

Le deuxième constat est plus général. C’est un droit du travail lié à l’employeur où la politique sociale s'inscrit dans une logique de gisement d’emplois.

L’enjeu est de faire en sorte que le droit du travail permette de répondre aux besoins d’emploi dans le secteur du service à la personne. Ce qui se traduit par plus de flexibilité, donc plus de précarité, un assouplissement du droit et un allègement des règles. Celles-ci sont considérées comme des contraintes pour faciliter l’embauche.

Ce système est connu et éprouvé, mais il est particulièrement prégnant dans cette branche. L’idée de notre colloque était de porter le regard sur les travailleurs·euses et montrer qu’on pouvait envisager cette matière autrement.

En quoi ces travaux peuvent-ils accompagner la structuration du secteur ?

Idéalement, nos travaux pourraient accompagner une structuration en donnant des pistes. Durant le colloque, nous avons constaté que la fragmentation du secteur était ancrée historiquement dans les normes collectives.

C’est un secteur concurrentiel, chacun essaie d’avoir sa part du marché et la diversité des normes entretient ce marché.

Idéalement, il faudrait construire un secteur unifié autour des travailleurs·euses. La fragmentation est due au fait que le regard est porté sur l’employeur. Chacun parle depuis son périmètre et les rapprochements sont difficiles.

Nous souhaitons accompagner le secteur vers une unité et que ce colloque en soit le point de départ.

Pensez-vous que les politiques publiques soient adaptées aux enjeux ?

C’est un secteur où les conditions de travail et de rémunération dépendent en grande partie de l’intervention de l’État. Ce fut le cas dans l’associatif où l’avenant 43 a permis la revalorisation des salaires. Aussitôt, les entreprises privées de services à la personne ont réclamé de l’argent public pour augmenter les salaires.

Sans intervention de l’État, le privé lucratif ne paraît pas viable alors que ces entreprises ont des stratégies commerciales et font des marges. Elles tiennent un discours qui les déresponsabilise. Si elles ne peuvent pas augmenter les salaires, c’est parce que l’État ne les aide pas alors qu'au contraire les associations sont largement soutenues.

Mais derrière tout cela, il y a des enjeux humains. D’abord les travailleurs·euses domestiques ont des conditions de travail plutôt pénibles, des contrats à temps partiel avec des amplitudes horaires énormes. Une imprévisibilité de leur emploi du temps leur rend difficile l’organisation des temps de vie personnelle et professionnelle. Leur moyenne d’âge assez élevée va poser problème des nombreux départs en retraite et de la hausse des besoins. Les conditions de travail de ces travailleurs·euses et au-delà du salaire, la reconnaissance qu’ils et elles méritent constituent un enjeu humain fort.

Nous parlons quand-même de la perte d’autonomie et de la petite enfance, du maintien à domicile de personnes âgées ou handicapées. La qualité de la prise en charge des personnes vulnérables est l’autre enjeu humain qui en dépend. Il ne faut pas perdre de vue que de meilleures conditions de travail vont de pair avec une meilleure qualité de service.

Et au-delà de l’enjeu humain ?

Les enjeux sont sociétaux et politiques parce qu’il y a des choix à opérer. Pour l’instant, le choix qui a été fait est celui de la logique des gisements d’emplois, donc de la création d’emploi à tout prix.

Mais quels emplois ? De quelle qualité ? Pour quelle rémunération ?

Pour l’instant, ça ne se fait pas au bénéfice des travailleurs·euses domestiques. L’unité du secteur pourrait contribuer à l’amélioration des conditions d’emploi parce que la diversité des droits du travail applicables divise aussi les travailleurs·euses. Du point de vue des organisations syndicales, plusieurs fédérations professionnelles différentes sont en charge des salarié·es du secteur. Les forces en résultent divisées.

Comment allez-vous poursuivre votre travail ?

Nous aimerions qu’il y ait des suites. La première, immédiate, c’est la publication d’un dossier dans la revue Droit social (éd. Dalloz) de ce mois de septembre avec les contributions de chaque intervenant·e. Il est fondamental pour la visibilité de notre travail de montrer que cet aspect du droit du travail existe et implique la recherche.

Nous avons aussi créé un fichier avec les coordonnées des participant·es, des intervenant·es et des personnes intéressées par le colloque afin d’élaborer un réseau. Le but de ce réseau, enrichi au fur et à mesure, doit faciliter les échanges.

Je vais moi-même continuer ma reflexion sur les travailleurs·euses domestiques, sur les question du mandat et du travail indépendant. Il serait intéressant de considérer pour eux un statut d’auto-entrepreneur.

Nous n’avons pas encore tenu de réunion post-colloque et donc pas encore acté formellement toutes les suites que nous lui donnerons. Cependant nous avons pensé à la mise en place d’un observatoire du travail domestique qui se traduirait, concrètement, par un site internet regroupant toutes les recherches. Une façon de faire réseau, de contribuer à la veille et de faire doctrine.

* avec Laure Camaji, maître de conférences à l’Université Paris-Saclay, et Rafael Encinas de Muñagorri, professeur à l’Université de Nantes.

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