Plusieurs dizaines de milliers de manifestant.e.s ont défilé à Paris lundi dernier, le 8 mars 2021. En cette Journée internationale de lutte pour les droits des femmes, 37 organisations ont appelé à un parcours jalonné d’étapes symboliques pour exiger la reconnaissance des premières de corvées et la fin des violences.

Reportage de Chrystel Jaubert

« Quand les femmes s’arrêtent, tout s’arrête »

Les Rosie dansent encore. En bleu de travail, bandana rouge et gants jaunes. Après les mobilisations contre la réforme des retraites, elles entraînent cette fois le cortège parisien du 8 mars. Des chorégraphies immuables sur des versions actualisées des tubes qu’elles se sont appropriés : Stop patriarcat sur l’air de YMCA, Premières de corvée sur celui d’À cause des garçons, une version inédite de L’hymne des femmes… La manifestation unitaire de la Journée internationale de lutte pour les droits des femmes fut, cette année, festive autant que revendicative, déclinée en haltes et prises de parole en différents lieux symboliques.

premières de cordée, en grève

Les 37 organisations féministes et syndicales à l’initiative de l’événement ont tenu à mettre à l’honneur toutes celles qui, durant les différentes phases de la pandémie, n’ont jamais cessé de travailler. Bien souvent, elles l'ont fait sans protection, selon des dispositifs sanitaires mal pensés. Premier confinement, on sort à sa fenêtre. On applaudit longuement les salarié.e.s en première ligne, majoritairement des femmes, soignantes, caissières, agentes d’entretien, aides à domicile, assmats ou enseignantes. C'est à elles que le président de la République promet des revalorisations à la mesure de leur utilité sociale.

Depuis, les promesses ont fait long feu. Et la plupart d’entre elles n’ont même pas obtenu la prime Covid. Quant aux revalorisations, elles attendent toujours. Essentielles, donc, mais pas reconnues. Aussi était-il nécessaire de montrer que « quand les femmes s’arrêtent, tout s’arrête ». Les organisations ont ainsi appelé à une grève féministe et relayé le hashtag #8mars15H40. C'est l’heure à laquelle les femmes, rémunérées 25 % de moins que les hommes, cessent d’être payées pour leur travail.

Une succession d'étapes symboliques

Première étape, le personnel soignant

Au départ du cortège à Port-Royal, les infirmières, aides-soignantes, mais aussi les sages-femmes marchent aux côtés de travailleuses sans-papiers, dont des aides à domicile, exigeant leur régularisation. Une aide-soignante arborant un carton sur lequel elle a écrit « les femmes soignent les hommes ». Elle estime que « les personnels de santé se sont faits avoir avec le Ségur » avec « une revalorisation salariale anecdotique, qui a exclu des pans entiers de femmes indispensables à la prise en charge des patients et qui n’a en rien endigué la poursuite de la casse du service public de santé ». Une de ses collègues ajoute : « La considération, on vient la chercher et on n’est pas prêtes à lâcher. »

Un groupe d’infirmières tient à rappeler qu’ « on n’est pas tout à fait sorties d’affaire avec le Covid. On travaille à flux tendu, épuisées et face à un gouvernement qui navigue à vue selon des considérations électoralistes et pas du tout sanitaires ». De fait, la gestion erratique de la pandémie revient souvent dans les échanges : « Au final, ce sont des femmes qui permettent au pays de tenir. »

Ciel bleu, déferlante violette déclinée en pancartes, foulards et fumigènes, la manifestation se densifie tout au long du boulevard Saint-Michel. Et se teinte d’autres couleurs au gré des groupes. On croise organisations LGBTQI+, surtout lesbiennes, mais aussi pro-PMA pour toutes, femmes ouïghours ou palestiniennes, communistes, progressistes, féministes antifas… Diverses et ensemble.

Dénoncer le sexisme systémique

Nouvelle étape devant une enseigne Mac Donald’s où les membres du collectif Mac Droits, qui s’est formé le 8 mars 2020, dénoncent une politique de sexisme systémique. Ils ont recueilli 165 témoignages de violences sexistes et sexuelles, de discriminations racistes, homophobes et transphobes en un an. Et mettent le groupe au pied du mur en l’appelant à vite changer les choses.

Lumière sur la précarité étudiante

Plus bas, sur la place de la Sorbonne, Pauline Lebaron, étudiante à Sciences-Po Paris et membre du bureau de l’Unef, relaie le témoignage de l’étudiante toulousaine ayant lancé #SciencesPorcs. Celui-ci a largement essaimé depuis. Témoignage après témoignage, c’est une litanie de récits de violences. Et de dénonciations de la précarité étudiante. Il y cependant de la joie à être ensemble, à se sentir fortes, à se compter en quelque sorte.

« Justice pour Julie » et pour toutes les autres

La sono des Rosie est de nouveau à fond. Ça chante, ça danse, jusqu’au Palais de Justice. Des manifestantes scandent « justice pour Julie », en soutien à cette jeune femme violée deux années durant par une vingtaine de pompiers toujours libres. Devant les grilles, Gérald Darmanin, Gérard Depardieu, Richard Berry, Roman Polanski, PPDA, Georges Tron ou encore Olivier Duhamel sont symboliquement enfermés dans des taules cartonnées. La peur doit changer de camp. Les Rosie entonnent leur version de l’hymne des femmes dénonçant la culture du viol et l’impunité des violeurs. La foule scande « Darmanin démission » et « Violeur, à toi d’avoir peur ».

Un peu plus loin, au Châtelet, autre ambiance. Un orchestre de chambre joue, installé sur le plateau du camion de la CGT Spectacle. Sa représentante, Claire Serre-Combe, parle d’urgences pour les intermittentes : « Nous voulons la prolongation de l’année blanche. Nous voulons l’assouplissement des seuils d’accès aux droits sociaux pour les congés maternité. Et nous voulons travailler. »

Hommage aux caissières

Dernière étape, boulevard de Sébastopol, devant l’entrée de l’enseigne Monoprix. Les Rosie dansent en hommage aux caissières, ces « héroïnes d’un jour déjà oubliées ». Juchée sur leur camion, Sophie Binet, dirigeante de la CGT chargée de l’égalité femmes-hommes, se saisit du micro pour demander à toutes d’applaudir les caissières, les remercier. Elle rappelle : « Pendant le premier confinement, elles ont travaillé sans aménagement de caisse », sans mesures de protection sanitaire.

« Nous sommes fortes, nous sommes fières et féministes et radicales et en colère »

Pour autant, ces premières de corvées ne doivent pas éclipser toutes les femmes « assignées » à domicile. Le télétravail imposé au mépris d’une véritable organisation a exacerbé les inégalités entre les femmes et les hommes. C’est désormais documenté. Les femmes ont bien souvent cumulé leur activité professionnelle à distance avec la garde des enfants. Mais pas que ! Il faut bien souvent y ajouter l’école à la maison et les tâches domestiques. En corollaire, les violences intrafamiliales ont explosé. Des chiffres froids qui trouvent un écho dans certaines revendications portées en capitales sur des cartons : « 1 milliard pour mettre fin aux violences », « Schiappa nous fait la guerre, mais on reste déter’ », « Des sous contre les coups ».

Sur la place de la République, quelques happenings encore, de la musique puis les groupes se dispersent. Celles qui restent tiennent encore à clamer « Nous sommes fortes, nous sommes fières et féministes et radicales et en colère ».

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