Plusieurs dizaines de milliers de personnes ont défilé, samedi 20 novembre à Paris, à l’appel du collectif #NousToutes et d’autres organisations pour dire stop aux violences sexistes et sexuelles, dresser le bilan du gouvernement en la matière et exiger des politiques publiques à la hauteur.

Article écrit par Chrystel Jaubert

Samedi 20 novembre, une manifestation féministe et nationale

Elles sont jeunes, très jeunes. En tête de cortège, lycéennes et étudiantes sont joyeuses, mais remontées, « féministes et radicales et en colère ». Une marée de pancartes violettes a déferlé de la place de la République à celle de la Nation samedi dernier. Elles dénonçaient notamment l’impunité des violeurs, « ras-le-viol », ou l’incurie des pouvoirs publics, « 65 % des victimes de féminicides avaient pris contact avec la police ».

"On ne baisse pas les yeux, on lève le poing.", "Pas une de plus", des pancartes lors de la mobilisation contre les violences faites aux femmes
"On ne baisse pas les yeux, on lève le poing." @Chrystel Jaubert

À l’appel du collectif féministe #NousToutes et d’une soixantaine d’associations, syndicats et partis politiques, 50 000 personnes ont ainsi battu le pavé à Paris (18 000 selon la Préfecture de police). Certes moitié moins importante qu’en 2019, lors de la précédente édition, cette mobilisation reste massive. D’autant que des manifestations se tenaient également ce jour-là dans plusieurs dizaines de villes françaises. D’autres événements sont par ailleurs prévus jusqu’au 25 novembre, Journée internationale contre les violences faites aux femmes.

Les pancartes de #NousToutes lors de la mobilisation contre les violences faites aux femmes
#NousToutes @Chrystel Jaubert

« Rien ne change, sauf l’impunité »

D’une année sur l’autre, comme les chiffres, le même disque tourne en boucle et « rien ne change, sauf l’impunité ». Les violences sexistes et sexuelles, mais aussi les violences incestueuses, pédocriminelles, transphobes, au travail… forment une litanie éculée que les mesures des pouvoirs publics, insuffisantes, voire dérisoires au regard des faits et des besoins, ne permettent pas d’interrompre.

Une marée de pancartes violettes lors de la mobilisation contre les violences faites aux femmes
"Ras le viol" @Chrystel Jaubert

Pourtant, à la fin de l’année 2017, la lutte contre les violences faites aux femmes était promue grande cause du quinquennat. Elle est d’ailleurs rebaptisée « grande cause du quinquennat bla bla bla » dans le cortège. Mais avec quasiment 600 femmes assassinées depuis l’entrée en fonction du président de la République, d’un mandat présidentiel à l’autre, les chiffres demeurent et la cause n’a pas gagné en grandeur. Depuis le 1er janvier 2021, 101 femmes ont ainsi été tuées par leur conjoint ou ex-conjoint. Une centaine de femmes en combinaison blanche, un masque couvrant leur visage, étrangement silencieuses, leur rendent ce jour-là un hommage bouleversant. Les femmes mortes sous les coups de leur conjoint étaient 100 en 2020 et 152 en 2019.

@Chrystel Jaubert

Rappelons qu’un Grenelle contre les violences conjugales s’est tenu il y a deux ans. Il n’a pas davantage permis d’endiguer l’hécatombe, comme l’Espagne et le Canada ont su le faire en initiant des politiques audacieuses et en y consacrant des moyens financiers suffisants. 

Une manifestation contre les féminicides

"On ne tue jamais par amour", peut-on lire le 20 novembre lors de la mobilisation contre les violences faites aux femmes
"Ma colère est + grande que ta teub" @Chrystel Jaubert

30 % des auteurs de féminicides avaient déjà été condamnés pour des faits de violence

« Dans 7 féminicides, c’est Noël », prévient une pancarte comme pour dire l’inéluctable. Là encore, les chiffres sont glaçants : 30 % des auteurs de féminicides avaient déjà été condamnés pour des faits de violence, 29 % des plaintes ne sont pas transmises au procureur par la police et 80 % des plaintes communiquées à la justice sont classées sans suite. Chaque année, 220 000 femmes sont victimes de violences conjugales et 93 000 de viol ou de tentative de viol.

Aussi, déclinés en pancartes, banderoles ou slogans, et quoi que souvent drôles, les bons mots forment un réquisitoire sévère contre l’incurie du gouvernement.

Un vrai décalage entre les discours des pouvoirs publics et la réalité

Comme le dénonce le collectif #NousToutes, « Les moyens déployés contre les violences faites aux femmes et les féminicides sont dérisoires et le décalage est grand entre les discours des pouvoirs publics et la réalité ». Par exemple, 379 bracelets anti-rapprochement sont en circulation selon le ministère de la Justice, quand 220 000 femmes sont victimes de violences conjugales ! Au-delà de la communication d’un gouvernement qui défend son « bilan » en pré-campagne électorale, il y a d’évidence un hiatus.

Des moyens pour éduquer les plus jeunes

"Non c'est non", "Éduquez vos fils" sur des pancartes le 20 novembre
"Eduquez vos fils" @Chrystel Jaubert

Les organisations réclament une enveloppe d’un milliard d’euros par an dédiée à la lutte contre les violences faites aux femmes, « pour financer des politiques publiques qui touchent l’ensemble de la population ». Aujourd’hui, ce ne sont que 360 millions. Les besoins sont importants, qu’il s’agisse de places d’hébergement d’urgence, d’accompagnement juridique ou psychologique, de prévention.

À l’instar de pancartes clamant « Éduque ton fils », les organisatrices sont claires : « Il faut apprendre aux plus jeunes ce qu’est le consentement et que tous les collégiens et lycéens passent un brevet d’éducation à la non-violence ». Comme le relève une jeune manifestante, « Les violences font système et pour en sortir, il faut éduquer les plus jeunes, protéger les victimes, condamner les auteurs ». Sa copine est plus incisive : « Le système en question, c’est le patriarcat et son corollaire, la culture du viol. Mais avec un Darmanin à l’Intérieur, rien à attendre des politiques, on va s’en occuper toutes seules ». Et le fait est que les « Darmanin, démission ! » jalonnent le parcours, écrits ou scandés, souvent le fait de jeunes femmes écœurées de l’impunité à l’œuvre. L’une d’elle arbore même un carton sur lequel est écrit : « Contrôle ta bite avant de vouloir contrôler le monde » !

Journée mondiale de la protection de l'enfance et Journée internationale du souvenir trans : une mobilisation aux multiples dénonciations

Le 20 novembre étant la Journée mondiale de la protection de l’enfance et la Journée internationale du souvenir trans, cette marche a aussi été l’occasion de dénoncer l’inceste, la pédocriminalité et la transphobie. La déclinaison sur fond violet, très répandue dans le cortège, rappelait à quel point « la transphobie tue ». Or, « les violences qui visent particulièrement les enfants, les femmes ou les personnes trans ne sont pas une fatalité », estiment les organisatrices. Là encore, « On ne baisse pas les yeux, on lève le poing », mais on déplore l’inaction.

"La transphobie tue."
"La transphobie tue" @Chrystel Jaubert

« C’est insupportable d’entendre les politiques, les medias et la vox populi pousser des cris d’orfraie, la main sur le cœur, à chaque nouvelle victime, quelle qu’elle soit, et constater dès le lendemain qu’il ne se passe rien, que la victime est déjà devenue un chiffre », se désole une jeune femme venue à la marche avec sa tante et sa grand-mère. Laquelle se réjouit : « Vous avez là trois générations de féministes anti-racistes d’une même famille et toutes très en phase sur les sujets du jour ! »

L'intersyndicale et la CGT face aux violences sur les lieux de travail

Le logo de la CGT sur fond de drapeau LGBTQ+
La CGT est présente @Chrystel Jaubert

Derrière la banderole de l’intersyndicale aussi, on est en phase. CGT, FSU et Solidaires défilent ensemble, suivis par les Rosies d’Attac, très en forme. Car les femmes au travail n’échappent pas aux violences. Dix viols ou tentatives de viol ont lieu chaque jour sur un lieu de travail en France. Rien que ça. Comme l’indique Sophie Binet, secrétaire de la CGT, en charge de l’égalité femmes-hommes, « 80 % des femmes se disent victimes de sexisme au travail et 30 % ont déjà subi du harcèlement sexuel au travail ».

Si la prise de conscience progresse dans la société, les syndicats doivent de plus en plus intervenir sur ces questions-là au quotidien et accompagner les victimes. Elle fustige sur ce point l’immobilisme du patronat et du gouvernement, alors même que la France a ratifié, bien qu’à droit constant, la convention 190 de l’OIT, première loi mondiale contre les violences sexistes et sexuelles au travail et que les employeurs ont l’obligation de prévenir les violences, de les faire cesser lorsqu’elles ont lieu et de sanctionner les auteurs.

Sur ces points précis, la CGT porte des revendications, « des mesures très simples à mettre en place et qui seraient très efficaces que le patronat et le gouvernement refusent ». Une remise en cause de la dignité des droits des femmes au travail. Tous terrains confondus, la communication des pouvoirs publics en matière de violences faites aux femmes ne passe décidément pas l’épreuve des faits. Le hiatus est un fossé.

Sources des chiffres cités : #NousToutes, collectif Féminicides par compagnon ou ex, IFOP, ministère de la Justice

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